Festival de Karlovy Vary | Critique : Pierce

Après avoir été libéré d’une prison pour mineurs, où il a purgé sept ans après avoir tué un adversaire lors d’un match d’escrime, Han rencontre son jeune frère et clame son innocence.

Pierce
Singapour, 2024
De Nelicia Low

Durée : 1h49

Sortie : –

Note :

MASQUE POUR MASQUE

Coproduit par Taiwan, Singapour et la Pologne, Pierce est le premier long métrage de la cinéaste Singapourienne Nelicia Low. Avant de se lancer dans le cinéma, cette dernière pratiquait l’escrime, et c’est justement cette discipline qu’elle impose à ses protagonistes. Ce sport à l’élégance cinégénique (tenues strictes, masques intrigants et combats aux chorégraphies brèves et intenses) donne ici lieu à de jolies séquences de captation, mais son intérêt ne s’arrête pas là. Dans le récent film chinois Brief History of a Family (également présenté à Karlovy Vary, ou Pierce fait sa première), cette discipline masquée allait comme un gant à un protagoniste se faisant passer pour un autre. Low pousse la métaphore plus loin, symbolisant la relation ambivalente de deux frères cherchant à anticiper et parer chacun des mouvements de l’autre.

Han sort de prison pour avoir causé il y a des années la mort de son adversaire lors d’un combat d’escrime. Il jure qu’il s’agissait d’un accident, mais seul Jie, son petit frère, semble prêt à le croire. Il faut dire qu’Han a sauvé Jie de la noyade quand il était petit, l’admiration sans borne que celui-ci lui porte en retour ne peut donc souffrir aucune nuance. Le titre du film fait référence aux protections vestimentaires indispensables à la pratique du sport, ainsi qu’aux dangers représentant un fleuret (délibérément ?) cassé, mais on peut aussi le lire comme une référence aux doutes qui s’immiscent peu à peu dans l’amour fraternel de Jie pour Han. L’innocence clamée par celui-ci n’est elle qu’un masque de plus ?

A chaque apparition, Han a l’air d’un méchant sorti d’un film d’action. Jie au contraire, est demeuré un garçon sensible aux yeux écarquillés et au badge Naf Naf. Cette opposition pourrait enfermer Pierce dans une binarité convenue, mais Low sait elle aussi esquiver nos attentes et faire d’élégants pas de côté. Elle nous fait ainsi passer avec fluidité du drame familial au film à suspens en passant par la comédie romantique gay : grâce à son bad boy hétéro de frère, Jie trouve enfin le courage de parler au garçon de ses rêves dans ce qui constitue une adorable intrigue parallèle. Han serait-il un vrai gentil?

L’ambiguïté que Low met au cœur de son scénario est entourée de beaucoup de douceur. Les angles sont ici gentiment arrondis au point d’émousser régulièrement le sentiment de potentiel danger imminent (même si là encore, le récit possède ses surprises). Si le scénario ronronne un peu par moments, l’élégance esthétique de Pierce convainc et charme sans réserve. D’une rivière brumeuse jusqu’aux néons roses de la ville, chaque décor est mis en valeur par la superbe photo du chef opérateur polonais Michal Dymek , dont le travail crevait déjà l’écran dans EO, The Silent Twins, Cold War ou plus récemment encore La Jeune femme à l’aiguille. Sans doute un peu moins lisse qu’il n’y parait tout en restant très accessible, ce drame fraternel est le plus immédiatement plaisant des films de la compétition de Karlovy Vary.

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par Gregory Coutaut

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