Festival Chéries-Chéris | Critique : Patagonia

Yuri, vingt ans, vit avec sa vieille tante dans une petite ville des Abruzzes. Lors d’une fête d’anniversaire, il rencontre Agostino, un animateur ambulant et enchanteur d’enfants, qui lui promet l’indépendance. Rêvant de liberté de la Patagonie, les deux partent en voyage et entament une relation malsaine faite de manipulation et de captivité.

Patagonia
Italie, 2023
De Simone Bozzelli

Durée : 1h52

Sortie : –

Note :

VOYAGE IMMOBILE

Yuri a bientôt vingt ans mais c’est en réalité difficile de lui donner un âge. Visiblement situé sur un spectre un peu flou entre timidité excessive et léger handicap mental, il vit encore comme un enfant. C’est ainsi que sa tante s’occupe affectueusement de lui, allant jusqu’à lui donner son bain , et c’est parmi ses petits cousins bien plus jeunes qu’il va naturellement s’asseoir lors d’une fête d’anniversaire. C’est à cette occasion qu’il croise la route d’Agostino, clown habitué à mettre de la poudre aux yeux aux bambins. Or, dans ce coin de campagne à l’âpreté déprimante (qui évoque certains paysages bruts des films d’Alice Rohrwacher), Yuri n’est pas habitué à rêver.

Yuri a beau être un jeune homme quasi-adulte, il est complètement désexualisé par son environnement, à tel point que la question « tu trouves cette fille jolie ? » lui fait l’effet d’une énigme. Avec ses cheveux teints en rouge, ses piercing sexy et son regard perçant, Agostino représente tout l’inverse. Malgré quelques brèves scènes homoérotiques délibérément malaisantes, Patagonia ne tranche jamais définitivement sur l’ambiguïté de l’attirance de Yuri pour cet homme tel qu’il n’en avait jamais croisé. Peu importe qu’il s’agisse bel et bien d’attirance physique ou d’identification, Agostino a bien conscience de son charme et du pouvoir qu’il a sur ce naïf protagoniste, qui n’anticipe pas le danger derrière l’improbable promesse d’une fugue commune en Patagonie (un lieu « où tout le monde ne pense qu’à être heureux »).

Cette mise en place aux cruelles promesses rappelle celle de Pinocchio, où les enfants étaient sinistrement leurrés par des forains vers l’Île au plaisir. Yuri ne finit pas transformé en âne mais il se retrouve bel et bien prisonnier d’une relation toxique faite de micro agressions humiliantes. De même que le voyage promis n’aura pas lieu, la tension du film n’éclate hélas jamais franchement. Pour son premier long métrage, Simone Bozzelli n’a pas peur de nous plonger dans une ambivalence inconfortable. Tant mieux, mais à force de surplace un peu frustrant, on se demande un peu quel regard il cherche à nous faire porter sur la dimension pathétique de son héros. Dans le rôle difficile de ce garçon aussi tétanisé que ces animaux qui ont trop peur de sortir même quand on ouvre leur cage, Andrea Fuorto s’en tire en tout cas avec un succès admirable.

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par Gregory Coutaut

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