A voir en ligne | Critique : Prayers for the Stolen

Dans un village de montagne mexicain, trois petites filles font des maisons abandonnées par les fuyards leur terrain de jeu. Elles se déguisent en femmes à l’abri des regards et trouvent refuge dans des cachettes pour échapper à ceux qui pourraient les enlever. Mais les sombres échos de la violence deviennent une menace inéluctable.

Prayers for the Stolen
Mexique, 2021
De Tatiana Huezo

Durée : 1h50

Sortie : 29/04/2022 (Mubi)

Note :

DÉMONS ET MERVEILLES

Cinéaste venue du documentaire, la mexicaine Tatiana Huezo n’a pas besoin de beaucoup plus que quelques minutes pour convaincre de la réussite de son premier passage à la fiction. En un court enchaînement d’images percutantes, elle témoigne d’une aisance remarquable pour donner vie à un monde, avec un sens de la nuance et de l’imaginaire, ainsi qu’un appétit contagieux pour des images riches d’évocation. Ana et ses amies vivent dans un village perché à flanc de colline, et autour d’elles tout est d’un émerveillement potentiel, des chaînes de montagnes aux fourmis transportant une fleur, de l’infiniment grand à l’infiniment petit.

Ana a beau être toute jeune, elle pressent déjà que les choses ne sont pas forcément ce dont elles ont l’air, et lorsqu’elle énumère des couleurs à voix haute, ce n’est pas tant par jeu que pour décrire un serpent venimeux a ses pieds. La beauté de la nature peut se révéler empoisonnée, la forêt luxuriante qui l’entoure peut cacher des conflits armés et les rondes terribles de milices armées dont on ne sait même plus très bien s’il s’agit de flics corrompus. Comme beaucoup de films d’Amérique latine (on peut citer par exemple les récents Jesús LópezEmployé / patron), Prayers for the Stolen se raconte autant par le son que par l’image. Quasi invisible et incompréhensible pour des yeux d’enfants, la terreur est pourtant bel et bien présente dans ce paysage paradisiaque. On dit même qu’ici, les jeunes filles se mettent à disparaître mystérieusement.

Huezo parvient à mêler regard d’enfant et yeux d’adulte, l’imagination et la violence, démons et merveilles, sans que l’un n’empiète sur l’autre, surfant sur de magnifiques hauteurs. Puis la cinéaste fait un étonnant bond dans le futur. Ana et les autres ont grandi, mais ce ne sont pas vraiment des corps de femmes qu’elles ont acquis au fil des ans : pour les protéger des enlèvements, on les habille et coiffe désormais en garçons. Le film s’ouvre par une scène où Ana et sa mère creusent un trou dans la terre. Ce que l’on croit être un rituel ludique s’avère être en réalité la construction d’une cachette pour enfants. Une cachette où Ana n’a littéralement pas la place de grandir, et où elle va avoir de plus en plus de mal à rentrer une fois ado.

La métaphore ne manque pas de lisibilité et ce n’est pas la seule. Le personnage du prof sympa semble par exemple avoir été écrit pour nous faire gober une pilule un peu trop didactique. Telle est sans doute la limite du film. A mesure que les personnages grandissent, Prayers for the Stolen devient en effet lui même un peu étriqué. Mais c’est moins par manque de talent que le résultat d’un pari assez audacieux. Tatiana Huezo passe du chaud au froid et met en scène avec une amertume palpable un monde où l’horizon se fait de plus en plus restreint pour les jeunes filles, un monde que l’on croyait sans limites et qui se révèle en fait sans sortie de secours.


>> Prayers for the Stolen est disponible sur Mubi

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par Gregory Coutaut

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