Au Sri-Lanka, un ancien militant politique revient dans son village après la guerre civile.
Munnel
Sri Lanka, 2023
De Visakesa Chandrasekaram
Durée : 1h40
Sortie : –
Note :
SOUS LE SABLE
Au tout début de Munnel, on peut voir ce qui ressemble à des images d’archives. Le film du Sri-Lankais Visakesa Chandrasekaram, second long métrage du cinéaste, est tourné avec la collaboration de personnes tamoules qui ont été témoins de la guerre civile. La fiction s’imbrique étroitement dans le réel ; c’est ici l’histoire d’un jeune homme, ex-militant des Tigres tamouls, qui revient dans son village en attendant son procès. Rudran est désormais handicapé au niveau d’une de ses jambes, c’est, dit-il, comme une partie de lui qu’il ne peut pas enlever.
La blessure à vie, cet homme qui boite et réapprend à marcher, constituent des métaphores assez lisibles dans Munnel. On liste les cicatrices, on prend soin du corps, on construit de quoi aider à tenir debout. Néanmoins le film, avec intelligence, laisse beaucoup de place au non-dit, ou du moins ce qui n’est pas clairement articulé. Le temps est passé mais Rudran est considéré comme suspect. Qu’est-ce que le jeune homme laisse sous silence ? Les violences qu’il a pu commettre, les actes terroristes auxquels il peut avoir participé, ça n’est finalement pas le réel enjeu du film – ce qui, politiquement, signifie déjà quelque chose.
Faut-il attendre quoi que ce soit des gens qui sont au-dessus de nous ? Visakesa Chandrasekaram fait avec finesse un parallèle entre la justice que l’on attend de recevoir par l’Etat et celle qu’on espère comme une intervention divine. Dans les deux cas, le cinéaste prend le temps de montrer l’importance des rituels, les lectures à la cour comme les traditions spirituelles. Les personnages sont-ils dupes ? La silhouette en carton de ce qu’on imagine être un notable politique n’arrive plus à tenir debout. Mais de son côté, la mère du héros, chamane du village, maudit des assaillants mal attentionnés qui finalement prennent la fuite. L’ambivalence dans Munnel, et ce jusqu’aux derniers instants du film, donne de la richesse au propos du réalisateur.
« L’Australie, c’est là-bas », indique-t-on, comme s’il s’agissait d’une simple échappatoire. En quoi les protagonistes maîtrisent-ils individuellement leur destin ? Visakesa Chandrasekaram explore cette question aussi riche que vertigineuse dans ce long métrage visuellement inspiré et habilement raconté. C’est l’une des franches réussites de cette compétition du Festival de Rotterdam où il est dévoilé en première mondiale.
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par Nicolas Bardot