PASSÉ DÉCOMPOSÉ

La toute première scène de Moneyboys nous montre un filet d’eau, à peine un ruisseau, dont on devine qu’il va grandir, rejoindre une rivière et même l’océan. Mais la caméra s’arrête avant, se focalisant sur la source plutôt que la destination, le passé plutôt qu’un avenir possible. Pourtant, les personnages de Moneyboys ont l’air d’avoir laissé leur passé loin derrière, au point de troquer leurs prénoms pour des noms de code (Max, Jackson) et d’avoir remplacé le sympathique chaos coloré de leurs villages d’enfance pour l’élégance feutrée de la grande ville.

L’élégance, c’est en effet ce qui frappe en premier dans Moneyboys. Le film a connu une gestation compliquée, notamment en raison de son sujet. Censé se dérouler en Chine, le film a d’ailleurs finalement dû être tourné intégralement à Taïwan. Cela n’empêche pas le réalisateur C.B. Yi (lire notre entretien) de faire preuve d’une maitrise enviable pour son premier long métrage : rigueur des plans, élégance des cadrages très larges, composition et soin de la direction artistique. Mis en image par le chef opérateur Jean-Louis Vialard (Tropical Malady), Moneyboys est d’une beauté frappante, éloquente.

Mais Yi sait prendre des décisions de cinéaste audacieuses. Alors même que l’esthétique de Moneyboys pourrait virer à la vitrine cadenassée, le réalisateur laisse rentrer des courants d’air inattendus, créant de la place pour le silence, les ellipses (via une structure narrative riche de ruptures), les décalages (autour des héros masculins, une même actrice occupe les trois rôles féminins secondaires) et des petites aspérités malaisantes. Cette étonnante combinaison, peut-être héritée des études du cinéaste en Autriche auprès de Michael Haneke, donne au film un relief ambigu et finalement émouvant. Un rêve fissuré et mélancolique auquel il est facile de s’identifier.

En dépit de ce que peut laisser envisager son titre, Moneyboys n’est pas un film qui cherche à documenter son sujet. De bars lounge en chambres d’hôtel de luxe, tout ce confort ouaté ne cache qu’à moitié une mauvaise conscience et une solitude amère. Moins froid qu’en apparence, le film compose progressivement le portrait d’une expérience intime du vécu queer : la clandestinité, la solitude de ceux qui sont contraints de fuir leurs origines, mais aussi l’accueil d’une communauté et de familles redéfinies. Le film pose des questions qui résonnent de façon particulière (comment se défaire de la dette du passé, que doit-on réellement aux gens qui ont fait de nous qui nous sommes ?) mais il est suffisamment accessible et riche pour s’adresser à un large public, et peut d’ailleurs se lire comme un commentaire sur la nouvelle génération de nouveaux riches de la Chine contemporaine.

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