ROIS SANS COURONNE

La ville dans les premiers plans de Los Reyes del mundo semble être un endroit merveilleux : c’est un lieu nocturne, onirique et étrangement vide ; un cheval apparaît mais cela pourrait tout aussi bien être une licorne. En un cut, le film bascule sur des affrontements de rues et la réalité à la lumière du jour est toute autre. Remarquée notamment avec son second long métrage Matar a Jesús qui fut primé de nombreuses fois en festivals en 2017, la Colombienne Laura Mora (lire notre entretien) raconte l’histoire de quelques grands ados livrés à eux-mêmes, dont l’un découvre qu’il a hérité d’un morceau de terre, quelque part dans la campagne. C’est l’un des contrepieds du long métrage : fait assez rare, les jeunes gens vont expérimenter un retour à la nature et à la ruralité quand tant d’autres films raconteront le trajet inverse.

Est-ce une utopie ? Est-ce un conte ? Toujours est-il que Laura Mora parvient à twister le drame social (que le film est, malgré tout) en jouant avec d’autres codes et tonalités. Le film est tout en décrochages, d’un tableau aventureux à l’autre, et sa construction est vivante, jamais posée sur des rails. Il y a une grande ambition narrative dans le récit de cet eldorado épique et désenchanté. La caméra panote régulièrement et dévoile tout un monde, à perte de vue et que les jeunes garçons n’imaginaient pas. La mise en scène de Laura Mora se caractérise par son souffle et la cinéaste se montre sans cesse inventive – voilà qui impressionne.

Il y a certes du souffle et de l’ampleur, mais aussi une attention sensible à l’intimité. « Je veux que le monde m’appartienne », fanfaronne l’un des héros. Derrière les coups et les cris, on peut percevoir les pensées et souhaits intérieurs des protagonistes lors d’un moment superbe. Les gamins, même dans des conditions qui les ont fait grandir un peu vite, restent des gamins. Le héros hérite d’un bout de terre ? Plus largement, le long métrage se questionne sur le monde dont les jeunes générations héritent – un monde en lambeaux et dans lequel ils finiront seuls.

Le retour à la nature n’est, en effet, guère bucolique dans Los Reyes del mundo. Tout est sur le point de basculer, d’être avalé. Un arbre se dessine timidement dans la brume. Une maison en ruines est gagnée par la végétation. On peut disparaître dans un nuage de sable, de poussière. Mora est attentive aux sensations et c’est ce qui enrichit le long métrage, qui n’est pas la simple illustration d’un propos politique. Le film partage sans doute pas mal de sources d’inspirations avec un autre colombien récent, Monos d’Alejandro Landes, sans qu’il ne ressemble à une redite. De la photo à l’écriture, Laura Mora parvient à partager une forme d’élan hypnotisant, à l’énergie contagieuse. Los Reyes del mundo est un gros morceau de cinéma par une cinéaste qu’on va suivre.

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