Clara, une infirmière solitaire de la banlieue de São Paulo, est engagée par la riche et mystérieuse Ana comme la nounou de son enfant à naître. Alors que les deux femmes se rapprochent petit à petit, la future mère est prise de crises de somnambulisme…
Les Bonnes manières
Brésil, 2017
De Marco Dutra & Juliana Rojas
Durée : 2h16
Sortie : 21/03/2018
Note :
L’ART ET LA MANIÈRE
Les Bonnes manières du duo brésilien formé par Juliana Rojas et Marco Dutra (lire notre entretien) réserve mille et une surprises – nous ne sommes pas là pour vous les déflorer. Mais c’est en tout cas probablement ce qu’il y a de plus excitant dans ce long métrage extrêmement généreux qui utilise toutes les couleurs de son pot de Crayola pour offrir un conte de fées, un film d’horreur, une romance, une comédie musicale et une parabole sociale en un seul film. Varier les tons avec autant d’aisance n’est pas si aisé et pas si fréquent : Les Bonnes manières y parvient à merveille et ne ressemble à pas grand chose de connu.
Trabalhar Cansa, précédente collaboration de Rojas et Dutra qui depuis ont travaillé sur des projets solo, avait déjà sa part d’étrangeté cachée au fond de la supérette de son héroïne – mais une étrangeté plus évidemment sombre. La première chose qui frappe dans Les Bonnes manières, c’est son usage délicieux et chatoyant des couleurs, même pour parler de choses qui n’ont pas leur place dans un coffre à jouets ou une chambre d’enfant. Les premières minutes aiguillent le récit vers l’allégorie politique.
Clara vient passer un entretien d’embauche, et entre la double porte blindée qu’elle doit franchir et la suspicion immédiate à laquelle elle se heurte face à sa future et fortunée employeuse, un fossé de classe se creuse immédiatement. Deux mondes se côtoient mais ne se mélangent pas dans un plan superbe de Clara rentrant chez elle, la ville futuriste au second plan et le quartier beaucoup plus modeste qu’elle arpente. Si la métaphore est moins au premier plan lors du reste du film, celui-ci ne cessera jamais de parler en creux de ceux qui font partie de la société et ceux qui n’ont pas le droit d’y appartenir.
Le générique de début des Bonnes manières pourrait être celui d’un vieux Disney. Walt Disney figure d’ailleurs parmi les remerciements du film : il y a ici un sens du merveilleux qui évoque inévitablement les contes immortels d’un des papes de l’animation. On chante dans Les Bonnes manières comme dans un Disney, on égrène les différents codes du conte, et ce n’est pas un hasard si le cœur le plus inquiétant de la ville, celui où l’on cherche la réponse à un mystère et où se produisent de terribles choses est un centre commercial qu’on appelle le Bois de cristal. La dimension symbolique a ceci de séduisant dans Les Bonnes manières que beaucoup de choses s’adressent ici à l’imaginaire.
Rojas et Dutra se servent à merveille de ces artifices. Ici, même les flammes de la cheminée sont fausses. Mais tout est vrai, authentique : la violence, le malaise, le mépris social, l’amour d’une mère pour son fils. Ce n’est pas pour rien qu’on croise tant de créatures surnaturelles – sur un tableau noir, dans les chansons, lors d’une superbe et poétique séquence à base de dessins. Depuis toujours, les créatures rejetées par les hommes ont pourtant quelque chose à leur apprendre. L’un des prodiges de ces Bonnes manières réside dans la façon qu’ont les cinéastes de sans cesse parler de transgression tout en ne se dépareillant jamais d’un ton d’une douceur hypnotique. Un premier degré très rare à l’heure du cynisme.
Le résultat est souvent fascinant, d’abord parce qu’en un clin d’œil le film passe de la beauté à l’émotion à la surprise à l’excitation ; mais aussi parce qu’on suit, happé, sans se poser de question, cette étrange rêverie, comme lors de cette scène superbe où Clara suit Ana en plein somnambulisme, évoquant le souvenir spectral et envoûtant du Vaudou de Jacques Tourneur.
>> Les Bonnes manières est à voir librement sur le replay d’Arte jusqu’au 7 janvier 2021.
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par Nicolas Bardot