Ce soir, dans la forêt qui encercle ce village au nord du Brésil, le calme règne. Ihjãc, un jeune indigène de la tribu Krahô marche dans l’obscurité, il entend le chant de son père disparu qui l’appelle. Il est temps pour lui d’organiser la fête funéraire qui doit libérer son esprit et mettre fin au deuil.
Le Chant de la forêt
Brésil, 2018
De João Salaviza & Renée Nader Messora
Durée : 1h54
Sortie : 08/05/2019
Note :
MÉMOIRE DE NOS PÈRES
On avait repéré le cinéaste portugais João Salaviza avec son court métrage Rafa qui avait raflé l’Ours d’or en 2012. C’est au Brésil, et à quatre mains avec Renée Nader Messora, qu’il a été tourner son nouveau long métrage, sélectionné à Un Certain Regard l’an dernier. Si Raffa se présentait comme une âpre et intransigeante captation au cœur d’une rue animé, Le Chant de la forêt prend un point de départ presque opposé. Dans la nuit bleutée et irréelle d’une jungle sans repères, profonde comme un sommeil plein de rêves étranges, le jeune Ihjãc reçoit la visite – sous forme d’un chant venu de l’au-delà – de son père décédé.
C’est comme si le film venait nous aussi nous chuchoter à l’oreille. Il y a comme un écho des trésors ancestraux d’Apichatpong Weerasethakul dans cette superbe ouverture, où la moindre clairière ou étang devient un portail vers un monde révolu, comme une scène de théâtre où se réveillerait un inconscient collectif bienveillant. Salaviza et Messora ont leur manière propre et singulière de mettre en scène le fantastique sans le surligner ni le mettre entre guillemets. La communication avec les morts est filmée comme un fait réel, avec le même respect que tout autre rituel de cette tribu du nord du Brésil. Mais la plus grande surprise du film se trouve ailleurs, dans son étonnante structure narrative qui suit.
Commencer par du réalisme pour peu à peu brouiller les pistes et glisser un orteil vers le fantastique : classique, la structure se retrouve dans de très nombreux films, mais combien sont-ils à suivre le cheminement inverse ? A mesure qu’Ihjãc quitte la jungle pour se rendre dans la ville la plus proche (fuyant ainsi son destin et ses responsabilités), Le Chant de la forêt quitte en effet le terrain du mystère pour prendre progressivement le chemin d’une captation réaliste. Frustrant ? Seulement dans un premier temps, car, en dépit d’un rythme bien à lui, le film sait où il va.
Aux rituels tribaux et leurs apparences magiques succèdent les rituels brutaux et terre à terre de la ville. Ce n’est plus nous qui sommes dépaysés mais Ihjãc, qui se retrouve victime de violence et de racisme, en proie à un monde dans lequel il n’existe presque plus, où il n’a ni statut ni identité. Ce que le film perd en mystère, il le gagne en amertume et en profondeur. Le film interroge aussi notre regard occidental sur ce monde-là : la démarche de Salaviza et Messora n’est pas pittoresque ou ethnologique. En replaçant cette tribu dans un monde brutalement contemporain, leur démarche est aussi politique, a fortiori vue à travers le prisme de l’actuelle crise politique brésilienne et des violences envers les populations indigènes.
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par Gregory Coutaut