Critique : La Chimère

Chacun poursuit sa chimère sans jamais parvenir à la saisir.Pour certains, c’est un rêve d’argent facile, pour d’autres la quête d’un amour passé… De retour dans sa petite ville du bord de la mer Tyrrhénienne, Arthur retrouve sa bande de Tombaroli, des pilleurs de tombes étrusques et de merveilles archéologiques.Arthur a un don qu’il met au service de ses amis brigands : il ressent le vide.Le vide de la terre dans laquelle se trouvent les vestiges d’un monde passé. Le même vide qu’a laissé en lui le souvenir de son amour perdu, Beniamina.

La Chimère
Italie, 2023
De Alice Rohrwacher

Durée : 2h10

Sortie : 06/12/2023

Note :

VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE

Qu’Alice Rohrwacher (lire notre entretien) réalise un film sur l’archéologie a quelque chose de tout à fait logique, comme une sorte de bon sens évident. Non pas que l’œuvre de la cinéaste italienne soit trop tournée vers le passé (s’il lui arrive d’aller explorer l’Histoire de son pays, c’est bien entendu sur un ton moins direct et virulent que son compatriote Marco Bellocchio, également en compétition à Cannes cette année). C’est plutôt que ses films possèdent l’art de la promesse mystérieuse, du langage secret, de la fiction cachée sous le réalité. Comme ses précédents longs métrages, La Chimère fonctionne comme un singulier fil d’Ariane nous invitant à le suivre on ne sait où.

Cette idée est d’ailleurs brillamment illustrée par l’une des images les plus fortes du film : celui du fil d’une robe en laine qui se découd en étant emporté sous la surface de la terre. Rohrwacher a le chic pour les métaphores à la poésie vertigineuse ou allégorique (l’un des personnages se nomme carrément Italia) et le prouve une fois encore avec cet herbier merveilleux qui creuse son sillon avec la foi des explorateurs passionnés. Voilà l’activité qu’exercent Arthur l’idéaliste et ses amis, bande d’archéologues du dimanche. Mais leur charme bohème de chansonniers sortis d’un Fellini ne cache pas longtemps une vérité moins gouailleuse : ce sont surtout des pilleurs de tombes motivés pas l’appât du gain.

A chacun ses chimères. Ici tout le monde creuse à la recherche de quelque chose, mais tout le monde à un rêve différent, et les trésors déterrés ne seront pas forcément ceux espérés. Croire dans le monde des âmes ? Penser que certains secrets de la terre ne sont pas faits pour les yeux humains ? Voilà qui fait bien jaser ces apprentis Indiana Jones, mais c’est pourtant une clé livrée par la réalisatrice elle-même. Rohrwacher brouille délibérément les pistes en créant un petit monde qui a toutes les apparences d’une nostalgie pittoresque (costumes un peu moches et carnavals tristounes dans des villages d’un autre temps) mais où les invitations à perdre les repères et larguer les amarres sont nombreuses, cachées dans le décor comme d’appétissant œufs de Pâques. Ainsi, une ruine croisée dans une scène peut devenir un chaleureux foyer alternatif quelques moments plus tard.

Avec son absence volontaire de repères temporels stricts (somme nous après la guerre, dans les années 80 ? Cela importe-t-il vraiment ?) et son étonnant casting international (autour d’Alice Rohwacher et Isabella Rossellini on retrouve l’Anglais Josh O’Connor et la Brésilienne Carol Duarte), La Chimère propose l’inverse d’un cinema de musée : un film sans frontière, ou les registres (conte, comédie, amertume) cohabitent en un ton unique, où les portes d’un monde rêvé se trouvent sous nos pieds à tous et ne demandent qu’a être ouvertes. Le film n’est d’ailleurs jamais aussi fou que lorsqu’il quitte ces zigotos un peu relous et descend bel et bien sous la terre, dans des scènes rappelant Il Buco de Frammartino. Pas étonnant que La Chimère s’ouvre sur le bruit hypnotisant d’un voyage en train, symbole psychiatrique s’il en est : l’ensemble est une superbe invitation au voyage intérieur.



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par Gregory Coutaut

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