A voir en ligne | Critique : Krabi, 2562

Explorant le paysage et les histoires qui se racontent alentour, Krabi, 2562 saisit la ville à ce moment particulier où les univers de la préhistoire, du passé récent et de l’époque contemporaine s’entrechoquent.

Krabi, 2562
Thaïlande, 2019
De Anocha Suwichakornpong & Ben Rivers

Durée : 1h34

Sortie : –

Note :

LE TEMPS RETROUVÉ

Dans Krabi, 2562, un personnage va à la rencontre d’un vieil homme. C’est un ancien illustre boxeur qui a perdu un œil lors d’un combat. Il a 60 ou 70 ans, lui-même semble hésiter, il vit semble t-il dans cette maison depuis toujours. Et il regarde, paisiblement, le paysage. Dans son nouveau film, la Thaïlandaise Anocha Suwichakornpong qui s’est ici associée au Britannique Ben Rivers (lire notre entretien) poursuit sa réflexion sur le temps et le souvenir. Krabi est le nom d’une province de Thaïlande dont les décors paradisiaques sont, dans l’imaginaire occidental, reliés notamment aux tournages d’un vieux James Bond ou de La Plage de DiCaprio. Suwichakornpong et Rivers observent avec sensibilité le passage du temps, et plus particulièrement la coexistence des époques, quand les touristes se massent à quelques pas d’une grotte arborant des peintures préhistoriques.

Lors d’une scène superbe, un vieux cinéma aujourd’hui fermé est retrouvé. Il existe encore maintenant, et pourtant il n’est plus vraiment là. Des affiches de vieux films d’horreur restent accrochées, un panneau coming soon promet de futures séances qui n’arriveront jamais, des oiseaux ont transformé la salle en volière… et pourtant le lieu vit encore dans les mémoires, comme lorsqu’on évoque ce couple qui s’y retrouvait. Quelle est la mémoire d’un lieu, d’une maison qui a été vidée ? Krabi, 2562 contemple avec sensibilité les souvenirs capables d’abattre les murs du temps qui passe. L’invisible dans le film importe autant que le visible. Un fantôme qu’on croit voir dans un hôtel, un homme des cavernes qui peut-être vit encore quelque part dans la jungle.

Suwichakornpong et Rivers laissent de la place à la contemplation, comme dans cette scène magnifique à bord d’une barque. Il est important ici de contempler pour vraiment voir, et ressentir. La texture de l’image, sa chaleur, sa douceur et ses couleurs fonctionnent comme étreinte. Les cinéastes ignorent toutes les barrières, en premier lieu celle qui pourrait séparer la fiction du documentaire. Tout ce qui est ressenti est vrai. Comme cette légende qu’on raconte et re-raconte jusqu’à ce qu’elle devienne l’incarnation-même d’un lieu. Le temps d’un plan, on peut voir quelle heure est-il à Bangkok, Tokyo, Londres ou New York. Elle est bien sûr différente partout mais le temps ne se mesure pas à une aiguille dans Krabi, 2562. Il y a ici une réflexion extrêmement poétique, d’une grande délicatesse, qui pourrait avoir une distance expérimentale mais qui, au contraire, est profondément humaine.


>> Krabi, 2562 est disponible sur Mubi

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par Nicolas Bardot

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