Critique : Kinds of Kindness

Kinds of Kindness est une fable en tryptique qui suit : un homme sans choix qui tente de prendre le contrôle de sa propre vie ; un policier inquiet parce que sa femme disparue en mer est de retour et qu’elle semble une personne différente ; et une femme déterminée à trouver une personne bien précise dotée d’un pouvoir spécial, destinée à devenir un chef spirituel prodigieux.

Kinds of Kindness
Irlande, 2024
De Yorgos Lanthimos

Durée : 2h44

Sortie : 26/06/2024

Note :

MAIS RIEN N’A DE SENS, ET RIEN NE VA

En 2015, Yorgos Lanthimos effectuait un virage inattendu en passant de ses fables grecques radicales telles que Canine ou Alps à un film anglophone rempli de stars : The Lobster. Depuis bientôt dix ans, le cinéaste fait tourner les plus grand.e.s (Nicole Kidman, Colin Farrell, Olivia Colman, Willem Dafoe, Emma Stone, Léa Seydoux) sans que ses films ne perdent de leur étrangeté – peut-être étaient-ils simplement un peu plus confortables. Kinds of Kindness ressemble à un retour au style absolument énigmatique, théâtral et inquiétant de ses débuts, tout en gardant le faste de ses œuvres récentes. Le casting est tout aussi luxueux (Emma Stone, récemment oscarisée pour Pauvres créatures, Jesse Plemons, couronné à Cannes pour ce nouveau film ou encore Willem Dafoe), mais Lanthimos retrouve pour cette occasion le co-scénariste de ses films les plus revêches : Efthimis Filippou.

Kinds of Kindness est un film rempli de listes, de missions et actions à effectuer – il reste pourtant relativement indéchiffrable. Si l’absurdité était coupée du monde et confinée dans un pavillon ou un jardin dans Canine, l’absurdité est le monde ici. Elle l’est d’ailleurs trois fois, au fil de trois contes bizarres où les rôles changent mais le casting reste : à l’intérieur de chaque récit, tout n’est que jeu de rôles et masques à enfiler, comme si les identités étaient redistribuées de la manière la plus aléatoire et arbitraire qui soit. On se plie ici aux règles de société comme à autant de rituels vides de sens, jusqu’au bout, puis on recommence.

Bien sûr, on retrouve la trace de motifs chers au cinéaste et qui constituent l’identité de son cinéma, comme l’incongruité totalement irrationnelle des rôles sociaux et des rapports humains. Le curseur est poussé au maximum et voilà le pari à la fois clivant et séduisant du long métrage : tout, vraiment tout y sera arbitraire ; ses protagonistes se tiennent debout mais pourraient tout aussi bien chavirer dans un manège de 2h45 tant la scène sur laquelle ils et elles se produisent paraît remplie de trappes, de pièges et de toboggans pouvant les emmener n’importe où. Est-ce un jeu de massacre ou un drame existentiel ? Une comédie féroce ou un épisode de La Quatrième dimension ? Pourquoi choisir ?

C’est un film sur le couple et l’énigme incompréhensible de l’amour. C’est un film sur la folie et l’inversion (les rêves y sont peuplés d’humains qui sont des animaux et d’animaux qui sont des humains). Qu’arrive-t-il aux pauvres créatures de Lanthimos dans ce puzzle qui refuse toute explication ? Voilà l’espace de liberté que le cinéaste nous offre – le cinéma n’a pas pour vocation d’être une thèse ou un exposé ; il est ici à la fois narratif et non-narratif, il y a du sens mais aussi le plaisir de n’y voir aucun sens. La violence de ce surréalisme-là revêt une dimension subtilement politique, dans ces vies fragiles, macabres et déglinguées qui peuvent s’achever de manière imprévisible par une crise cardiaque comme par un accident de voiture. Dans Kinds of Kindness, il n’y a pas de sentiments là où il devrait y en avoir, et au contraire il y en a là où l’on ne s’y attend pas. Cette redistribution narrative, aussi joueuse que désespérée, ouvre un champ des possibles aussi ludique que grisant.

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par Nicolas Bardot

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