Critique : in water

Sur l’île rocheuse de Jeju, un jeune acteur réalise un film. Alors que l’inspiration lui manque, il aperçoit une silhouette au pied d’une falaise. Grâce à cette rencontre et à une chanson d’amour écrite des années plus tôt, il a enfin une histoire à raconter.

in water
Corée du Sud, 2023
De Hong Sangsoo

Durée : 1h01

Sortie : 26/06/2024

Note :

LA VIE C’EST DU FLOU TOUT PARTOUT

Rien que ces six dernières années, Hong Sangsoo a été sélectionné cinq fois à la Berlinale, dont quatre fois en compétition et quatre fois lauréat d’un prix différent (meilleure actrice pour Kim Minhee dans Seule sur la plage la nuit, prix de la mise en scène pour La Femme qui s’est enfuie, prix du scénario pour Introduction et grand prix du jury pour La Romancière, le film et le heureux hasard). Lorsque le sélectionneur Carlo Chatrian a annoncé que son nouveau film in water serait dévoilé non pas en compétition mais à Encounters (section parallèle crée par Chatrian il y a trois ans, dédiée le plus souvent à des cinéastes moins identifiés), beaucoup se sont interrogés sur ce qu’ils interprétaient comme un possible déclassement.

Après avoir vu in water, on comprend parfaitement ce changement. Pas uniquement parce qu’il s’agit là du film le plus potentiellement clivant du cinéaste coréen, mais aussi parce que ses partis pris formels, qu’on peut qualifier sans exagération de radicaux, font que l’ensemble est davantage à sa place dans une section dédiée aux projets aux écritures plus expérimentales. En effet, in water est… entièrement flou. Oui, oui. A chaque scène, l’image est floue à des degrés divers ; parfois à peine, nous autorisant à reconnaitre les visages des interprètes, et parfois complètement, jusqu’à ce que le ciel au dessus de l’océan ne ressemblent plus qu’à une peinture abstraite bicolore à la Rothko. Qu’il s’agisse d’objets proches ou du vaste horizon : rien n’est franchement net.

En théorie, cela fait tout à fait sens puisque les personnages d’Hong Sangsoo ont toujours été dans le flou, incapables de reconnaitre ce qu’ils ont sous le bout du nez (Juste sous vos yeux) ou partis à la vaine recherche d’un lieu introuvable (le phare d’In Another Country, le café de Hill of Freedom, etc). Tout familier qu’il soit en théorie, l’effet est au final proprement hallucinant. Un film entièrement flou, c’est tout simplement du jamais vu. Le temps de ce film en apnée, on a l’impression de porter un casque de VR mal ajusté, d’être aussi déboussolés et aussi ivres que les personnages du cinéaste. Bizarrement, cela n’empêche pas le film d’être joli, et ce grâce à une palette de couleurs vives, propice au gros blocs sans contours. Voilà une séance mémorable. Il y a de quoi halluciner durablement, de quoi tanguer assis dans nos fauteuils de cinéma, voire de quoi même filer le mal de mer par moments.

Mais bon quand même, le bouchon n’est il pas poussé un peu loin ? Il faut dire qu’Hong nous donne ici un scénario plus pauvre qu’à l’accoutumée. Les acteurs ne sont pas seulement moins visibles, ils ont tout simplement moins à jouer. Ce récit de poche, même à l’échelle habituelle du cinéaste, donne l’impression frustrante de n’être qu’un prétexte. Est-on en train de regarder un film ou un concept de film ? Peut-être que peu importe la réponse à cette question, car in water vient apporter un gigantesque coup de neuf et d’inattendu à la filmographie du maître. Placé au même niveau que les autres, in water souffrirait sans doute de la comparaison et passerait sans doute pour chiche. L’envisager comme un exercice conceptuel, un pas de côté vers l’art vidéo, une parenthèse ouverte, rend sans doute davantage justice à son ambition. Voilà un Hong Sangsoo à réserver aux yeux avertis possédant le pied marin.

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par Gregory Coutaut

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