Festival de Neuchâtel | Critique : I Saw the TV Glow

Deux adolescents sont liés par leur amour d’une émission de télévision surnaturelle.

I Saw the Tv Glow
Etats-Unis, 2024
De Jane Schoenbrun

Durée : 1h40

Sortie : –

Note :

JE PASSE À LA TÉLÉ

Dans ses œuvres précédentes (parmi lesquelles ont vous conseille le très étrange We’re All Going to the World’s Fair), la réalisatrice trans américaine Jane Schoenbrun se penchait sur nos utilisations d’internet à travers le filtre d’une inquiétante étrangeté. Dans ses récits fantastiques mélangeant webcams et légendes urbaines, les modems d’ordinateurs devenaient des machines magiques sorties d’une autre réalité, et les discussions en ligne prenaient des airs de rituels surnaturels des années 2000. Schoenbrun conserve ce regard à la fois rêveur et inquiétant dans ce nouveau long métrage, mais tourne cette fois un peu plus loin le curseur de sa machine à remonter dans le temps.

I Saw the TV Glow se déroule dans les années 90 (mais des années 90 fantasmées, baignées d’une lumière rose/violette qui n’a jamais éclairé aucun établissement scolaire dans la vraie vie). Une époque où, pour suivre une série télé, il n’y avait pas d’autre option que de choper coûte que coûte l’unique diffusion hebdomadaire de chaque épisode. Une époque où l’on s’échangeait les VHS de nos films préférés. Une époque pré-réseaux sociaux à la solitude bien particulière. Owen et Maddy fréquentent le même collège mais ne se connaissent pas encore. Marginal chacun à leur manière, ils ne ressemblent pas à leurs camarades populaires. Grâce à l’écriture intelligente et au queer gaze de Schoenbrun, ils ne ressemblent d’ailleurs pas non plus ni aux protagonistes conventionnels de films fantastiques, ni aux pures normes de leur genre respectif. Tant mieux.

Owen et Maddy se découvrent rapidement une passion commune : Pink Opaque. Une série télé mettant en scène deux adolescentes (amoureuses ?) s’alliant pour lutter contre des créatures maléfiques. Schoenbrun reconstitue le gros grain des images vidéo des séries cheap de l’époque, mais I Saw the TV Glow est moins porté par une nostalgie fétichiste que par une authentique mélancolie. Cette série pour ados évoquant une version bis de Charmed ou Buffy passe bizarrement en pleine nuit, et Owen et Maddy sont semblent-ils les seuls à la connaitre. Ils absorbent chaque épisode en cachette comme une drogue, comme s’il y avait dans ces images quelque chose de magique, une porte vers un autre monde, un monde où ils auraient enfin peut-être le moyen d’être eux-mêmes.

I Saw the TV Glow possède une atmosphère proprement incroyable qui évoque autant Twin Peaks que Fais-moi peur!. Il y a là un pouvoir de fascination qui nous donne à notre tour l’impression de découvrir un secret intime et troublant en pleine nuit. Cette logique de rêve planant prend progressivement le pas sur le déroulé du récit, au point de frustrer voire freiner celles et ceux qui attendent d’un dénouement qu’il fasse son job. En contrepartie, Schoenbrun se montre heureusement d’une générosité rare, et ce sur plusieurs plans. Visuellement splendide avec son spleen néon et ses dessins en surimpression, ce cocon doux-amer vient rappeler avec émotion que la pop culture, même marginale, contribue à construire nos identités queer, que les émissions, chansons au autres occasions de se transposer et se construire sont parfois nos seules portes de sorties à l’adolescence. On sort de ce film avec l’impression d’avoir fait un rêve unique, d’être nous-mêmes passés brièvement de l’autre coté de l’écran.

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par Gregory Coutaut

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