Les Britanniques Pinny Grylls et Sam Crane se lancent un défi : mettre en scène coûte que coûte la célèbre tragédie de Shakespeare dans l’univers impitoyable et urbain du jeu vidéo en ligne Grand Theft Auto.
Grand Theft Hamlet
Royaume-Uni, 2024
De Pinny Grylls & Sam Crane
Durée : 1h30
Sortie : 2025
Note :
AU THÉÂTRE CE SOIR
Après le court métrage Happy New Year, Jim (sélectionné à la Quinzaine en 2022) ou le long Knit’s Island (sorti chez nous au printemps dernier après notamment son passage au Festival de La Roche-sur-Yon) Grand Theft Hamlet est un nouveau long métrage qui choisit comme décor le jeu vidéo – décor paradoxal puisqu’il s’agit, comme Knit’s Island, d’un documentaire. Le langage du jeu vidéo n’est pourtant pas si farfelu puisque les jeux en ligne utilisés consistent, pour simplifier, en une immersion « réelle » dans des territoires à explorer, où derrière les personnages croisés se cachent de « vraies » personnes. Alors que Knit’s Island était en quelque sorte un work-in-progress qui finissait par aborder de profondes questions existentielles, Grand Theft Hamlet avance bille en tête et son titre donne un indice sur le défi fou que se lancent les cinéastes.
Grand Theft Hamlet raconte en effet la tentative (ou plutôt, les 1001 tentatives) de monter la pièce Hamlet… dans l’univers du jeu vidéo Grand Theft Auto. Ce titre ressemble à une blague de fin de soirée, et l’un des réalisateurs commente d’ailleurs : « c’est une idée nulle ». Éclair de lucidité ? Celui-ci ajoute immédiatement : « On doit absolument essayer ». Et finalement, pourquoi pas ? Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark, mais il en est de même pour Los Santos, la ville chaotique où se déroule le jeu vidéo. L’univers de GTA est ultra violent ? Pas forcément plus que dans nombre de pièces de Shakespeare.
Au-delà de ces fragiles ponts lancés entre le texte et le monde virtuel, il y a néanmoins des questions concrètes que doivent se poser les cinéastes, ainsi que des limitent auxquelles ils se heurtent. La violence dégénérée comme comme seul moyen de communication dans Grand Theft Hamlet est un moteur de comédie régressive très efficace, comme un slapstick ou, au lieu de se prendre des claques, les personnages passeraient leur temps à s’entretuer. Il faut voir ces avatars badass et raides comme des balais, qui pointent leurs guns pour dire bonjour et tombent lamentablement à l’eau dès qu’ils doivent faire trois pas, tandis que les voix des joueuses et joueurs sont simplement neutres.
Comment, néanmoins, faire cesser cette violence débile ? Difficile de rassembler des participant.e.s et monter un spectacle si les actrices et acteurs… passent leur temps à mourir. L’effort laborieux finit par contaminer le film qui menace de tourner en rond. Ce pari ouvre néanmoins des questions dignes d’intérêt sur le lien entre le réel et le virtuel, sur la manière dont les cinéastes entrent dans le jeu et comment celui-ci entre dans leur vie ; et puis il y a au cœur de Grand Theft Hamlet ce geste poétique : créer une œuvre d’art, c’est une multitude de petites morts avant, peut-être, d’être récompensé de ses efforts.
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par Nicolas Bardot