Festival de Sundance | Critique : Eileen

Dans le Boston glacial des années 1960, Eileen oscille entre la maison émotionnellement oppressante de son père et la prison où elle travaille aux côtés de collègues qui l’ont ostracisée. Lorsqu’une femme enivrante rejoint le personnel pénitentiaire, Eileen est captivée.

Eileen
Etats-Unis, 2023
De William Oldroyd

Durée : 1 h37

Sortie : –

Note :

UNE NOUVELLE AMIE

Eileen est ce qu’on pourrait appeler une godiche. Obligée, suite au décès de sa mère, de quitter ses études afin de travailler au centre pénitentiaire pour mineurs, elle éveille si peu d’intérêt autour de sa personne qu’elle est surtout condamnée à regarder les autres s’amuser sans elle. Eileen rêve d’une vie dont elle serait enfin l’héroïne, quitte à jalouser morbidement le panache et le mystère de certains détenus parricides de son âge. C’est alors qu’arrive la nouvelle psychologue du centre, une blonde hitchcockienne justement nommée Rebecca.

Rebecca ne semble pas seulement venir de la grande ville. Fière femme fatale en tailleur chic au milieu des ploucs fringués en marron, on dirait qu’elle débarque carrément d’un autre film, d’une autre planète. Elle pourrait même tout aussi bien sortir directement des fantasmes de l’héroïne tant celle-ci se retrouve fascinée par l’amitié qu’elle lui porte, même ou surtout quand celle-ci est ambiguë. La porte de sortie tant espérée semble enfin s’ouvrir devant Eileen, mais celle-ci veut-elle être Rebecca ou être avec Rebecca ? Et qu’est-ce que cette dernière signifie en susurrant « Je ne peux imaginer une vie sans fantaisie ou fantasmes, et toi ? »

La bande originale d’Eileen alterne entre des chansons d’amour désuètes et une musique à suspens sortie droit d’un film noir. La direction artistique est généreuse et le générique du début est écrit dans une bien jolie police retro. Les pièces de l’hommage cinéphile paraissent s’emboiter exactement là où il faut, mais comme dans son précédent film The Young Lady, le réalisateur britannique William Oldroyd fait mine d’utiliser des archétypes pour mieux nous tirer le tapis sous les pieds et nous mettre face à une tension singulière et inattendue.

Adapté d’un roman de l’autrice américaine Ottessa Moshfegh, Eileen mérite un compliment qu’on peut trop rarement faire aux productions américaines présentées à Sundance, qui cherchent avant tout à rentrer dans des cases : il possède un flamboyant sens de l’ironie. Allons même plus loin : par ses détails tordus, par sa capacité à être cruel avec ses personnages sans pour autant se moquer d’eux, William Oldroyd signe là un film à la fois sérieux et camp à souhait, rappelant les réussites les plus jubilatoires de François Ozon dans le même registre. Oldroyd partage avec lui une cinéphilie malicieuse et contagieuse, mais aussi la capacité de passer par des artifices délibérément outrés pour mieux toucher en plein cœur.

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par Gregory Coutaut

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