Festival de Locarno | Critique : Drowning Dry

Ernesta passe le week-end à la campagne avec sa famille et celle de sa sœur Juste. Lukas, son mari, vient de remporter un tournoi d’arts martiaux mixtes. Les familles se baignent dans un lac des environs, dînent et discutent de leurs finances. Après un accident presque tragique, les sœurs se retrouvent mères célibataires. Le film suit leur vie au lendemain de la tragédie.

Drowning Dry
Lituanie, 2024
De Laurynas Bareiša

Durée : 1h28

Sortie : –

Note :

LE HEROS DE LA FAMILLE

Drowning Dry débute sur un ring, en plein milieu d’un match intense d’arts martiaux mixtes. On quitte la scène aussi vite qu’on y est entré, nous voilà l’instant d’après en famille dans les vestiaires : papa a gagné son match et tout le monde l’applaudit. Enfin presque, car au bord du cadre maman pleure et fiston fait la gueule. La vraie violence se situe peut-être en dehors du ring. On entend celle-ci dans les dialogues murmurés dans le dos des autres (« si seulement quelqu’un pouvait te tabasser pour de bon »), on la devine surtout dans les silences planant au dessus de cette cellule familiale soudée en apparence mais prête à imploser.

Dans la maison de campagne où tout le monde s’est réuni après le match, place au repos des guerriers. Les femmes s’affairent tandis que les papas trainent à demi-nus. Pas d’érotisme dans cette nudité-là : c’est plutôt une armure de fanfaron imposée à l’entourage par les supposés maitres des lieux. Personne n’a vraiment l’air de rouler sur l’or, et la maison est suffisamment anonyme pour suggérer qu’il ne s’agit peut-être que d’une location, mais les cigares et les gadgets crachant des dollars sont de sortie sur la terrasse. Il n’y a plus aucun spectateur pour applaudir, mais la représentation continue. La fiction familiale se poursuit, aussi rigoureusement arbitrée qu’un match (les femmes ne doivent pas dépasser le temps d’attention qu’on accepte de leur donner). Or, cette bulle d’illusion héroïque va être percée par le surgissement d’un drame qui va mettre chacun face à ses actes.

Le cinéaste lituanien Laurynas Bareisa s’était fait repérer il y a trois ans à la Mostra de Venise avec son premier long métrage, Pilgrims, qui faisait preuve d’un minimalisme très particulier. On retrouve ici cet étonnant équilibre fait d’ellipses à la fois sèches et mystérieuses. Tout demeure très réaliste dans Drowning Dry mais en plaçant parfois sa caméra d’un peu plus loin que la normale, en faisant débuter certaines scènes un peu plus tôt ou un peu plus tard que la norme, la mise en scène de Bareisa donne l’impression nerveuse que tout ce petit théâtre a priori anti-événementiel pourrait à tout instant basculer dans la terreur. La tension est là, mais elle n’est pas arrivée par les voies cinématographiques habituelles. La singularité va pourtant plus loin encore.

A mi-film, certaines scènes commencent à se répéter comme un disque rayé, on reconnait les actions mais les dialogues ont changé, les attitudes sont devenues différentes. Ce puzzle-là n’est pas un jeu, il évoque davantage l’angoisse de quelqu’un qui essaierait de remettre de l’ordre et de l’exactitude dans ses souvenirs, quelqu’un qui tenterait de reprendre progressivement le contrôle de son quotidien. Il n’est pas évident à première vue de dire de quoi parle exactement Drowning Dry, mais son imprévisible structure narrative  vient traduire avec originalité la complexité des sentiments caractérisant les familles où les rapports ont été soudain redistribués par un drame.  Maitrisé, magnétique et énigmatique, ce drame sur les mystères du deuil a de quoi laisser KO.

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par Gregory Coutaut

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