L’Étrange Festival | Critique : Dragon Dilatation

Dragon Dilatation est la réunion de deux essais filmiques, Petrouchka et La Déviante Comédie. Le premier volet est une relecture du ballet de Stravinsky, le deuxième est constitué des traces d’un spectacle inédit répété au Théâtre des Amandiers.

Dragon Dilatation
France, 2024
De Bertrand Mandico

Durée : 1h54

Sortie : –

Note :

LA VIE DES MARIONNETTES

Dragon Dilatation (quel titre ! Sans doute le plus appétissant de tout le Festival de Locarno) est un programme juxtaposant deux moyens métrages en split screen signés Bertrand Mandico (lire notre entretien). Le premier, intitulé Petrouchka, est une adaptation du ballet de Stravinsky commanditée par et diffusée au dernier Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Le second, nommé La Déviante comédie, est composé d’images de répétitions de la pièce du même nom que Mandico devait mettre en scène au Théâtre des Amandiers, et qui finalement a donné lieu au film Conann.

Chacune de ces deux œuvres fut créée indépendamment de l’autre, dans ses propres conditions et avec des récits bien distincts. Si bien que l’on pourrait trouver leur réunion un peu artificielle au premier regard, d’autant plus que La Déviante comédie se relierait de façon plus flagrante aux autres courts métrages de Mandico partageant déjà l’univers de Conann : Nous les barbares et Rainer, a Vicious Dog in a Skull Valley, avec qui cette variation partage beaucoup. Cette nouvelle visite ne ressemble jamais vraiment à un making of (tant mieux), mais elle apportera davantage de familiarité que de réelles surprises aux spectateurs fidèles. La place laissée à la musique et aux numéros chantés aux paroles dingues (« le dieu du cul t’encule ») mérite d’être soulignée avec plaisir, mais difficile sur la longueur de faire le poids face au clou du spectacle qu’est Petrouchka.

Dans le ballet d’origine, les protagonistes étaient trois marionnettes prenant vie grâce à un magicien. Ici, il s’agit de trois mannequins de mode aux genres plus ou moins définis, sous l’emprise d’une créatrice borgne et diabolique interprétée par l’irrésistible Nathalie Richard, dont le look strict et androgyne à cravache rappelle délicieusement Madonna période Madame X. Mandico débarrasse l’œuvre de tout folklore, transposant l’intrigue dans d’excitants labyrinthes souterrains où, comme dans une Histoire alternative du cinéma européen, se croisent à toute vitesse et en vrac des échos de la guerre en Ukraine, du cinéma expressionniste, du Berlin underground à la Fassbinder où même de l’animation expérimentale. Des vignettes mi-figuratives mi-abstraites, faites de papiers découpés, viennent ainsi s’intercaler entre les scènes en prises de vue réelles. Un effet aussi inattendu que remarquable.

A l’exception des dernières minutes, Petrouchka est muet, laissant toute la place à une musique qui virevolte jusqu’à l’inquiétude et sans faiblir. Cela n’aide peut-être pas à mettre en valeur le rythme plus convenu de La Déviante comédie. Mais, si la tension et l’attention baissent en cours de route, les deux œuvres s’enrichissent progressivement de cette cohabitation. Ainsi, au milieu du chaos de tous ces généreux artifices (masques, plumes, sang, décors minimalistes), on est ému de voir se dessiner en parallèle un double autoportrait de metteur en scène démiurge face à d’indomptables actrices/poupées.

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par Gregory Coutaut

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