Festival de Rotterdam | Critique : Deux sœurs

Pansy est rongée par la douleur physique et mentale et son rapport au monde ne passe que la par colère et la confrontation. Son mari Curtley ne sait plus comment la gérer, tandis que son fils Moses vit dans son propre monde. Seule sa sœur, Chantelle, la comprend et peut l’aider.

Deux sœurs 
Royaume-Uni, 2024
De Mike Leigh

Durée : 1h37

Sortie : 02/04/2025

Note :

SŒUR FÂCHÉE

C’est un paisible quartier résidentiel que l’on peut voir au tout début de Deux sœurs, le nouveau long métrage du Britannique Mike Leigh. La caméra pourrait poursuivre son mouvement et ne pas s’arrêter sur la maison de Pansy et de sa famille, mais elle choisit finalement de se concentrer là, sur ce qui se passe derrière ses murs. Pansy est du genre à se réveiller en un hurlement, et peste à longueur de journée (sur son époux, sur son fils, sur la caissière, sur quiconque passe dans son champ de vision). C’est d’abord, disons-le, très drôle – Pansy est une sorte de Taz des Looney Tunes version dépressive, héroïne d’une comédie à très mauvais esprit dont la tonalité peut relativement surprendre de la part de Leigh.

Tandis que Pansy est vénère, sa sœur Chantelle tchipe. Cette dernière ne semble pas du tout être dans la même souffrance que sa sœur, qui en un grognement assure pourtant « être parfaitement hydratée ». Pansy a-t-elle besoin d’une séance de gestion de la colère ? Son état est-il pathologique ? La comédie se drape peu à peu d’un voile gris, ou d’un voile noir. Si le titre français de ce long métrage est Deux sœurs, le titre original est Hard Truths : littéralement de dures vérités. Ces vérités sont peut-être moins celles que Pansy croit asséner à son entourage – ses propos tiennent davantage d’une logorrhée incontrôlée. Ce sont plutôt de dures vérités concernant Pansy elle-même, et les dynamiques familiales à l’œuvre.

Pansy et Chantelle, ainsi que leurs enfants respectifs, appartiennent à la même famille mais n’ont visiblement pas le même vécu. Les protagonistes sont réunis, mais aussi totalement séparés à l’écran, même lorsqu’elles et ils se trouvent dans le même salon. Mike Leigh évoque de manière saisissante les prisons familiales dans ce film qui, imperceptiblement, peut glisser de la comédie au rire jaune à une profonde tragédie. On peut saluer la qualité de l’écriture, même si le processus créatif et participatif de Mike Leigh, incluant largement ses comédiennes et comédiens, peut difficilement se limiter à la seule écriture du cinéaste.

Leigh et sa distribution trouvent un point d’équilibre parfait entre une cruauté sans limite mais aussi une forme de tendresse. « Je ne te comprends pas, mais je t’aime » dit Chantelle à Pansy. Deux sœurs n’est pas pour autant un film de mièvres réconciliation et, comme Another Year il y a quelques années, l’amertume se mêle à la légèreté. Relativement court (à peine plus d’1h30), Deux sœurs utilise de manière remarquable ce qui n’est pas dans le cadre, ce qui n’est pas raconté pour nourrir ce portrait familial très dense. D’une très grande élégance formelle, le long métrage est aussi le dernier travail du directeur de la photographie Dick Pope, collaborateur régulier de Leigh, décédé l’an passé. Enfin, la caractérisation brillante peut s’appuyer sur un casting exceptionnel, avec en tête Marianne Jean-Baptiste qui retrouve 30 ans plus tard son cinéaste de Secrets et mensonges. Elle compose avec une virtuosité extraordinaire un personnage unique et inoubliable.

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par Nicolas Bardot

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