TIFF 2020 | Critique : Dau. Natasha

Natasha travaille à la cantine d’un institut de recherche soviétique secret. Elle boit beaucoup, aime parler d’amour et s’embarque dans une liaison…

Dau. Natasha
Russie, 2020
De Ilya Khrzhanovskiy & Jekaterina Oertel

Durée : 2h26

Sortie : –

Note :

IVRESSE DES PROFONDEURS

« Je vous remercie d’avoir eu le courage d’entrer dans cette expérimentation ». Ces mots, prononcés au début de DAU. Natasha, s’adressent à une poignée de cobayes venus se soumettre à des expériences scientifiques dont ni eux ni nous ne sauront beaucoup plus. Avec ses cloisons épaisses et ses portes blindées, la base militaire où se déroule le film semble faite pour garder les secrets les plus gigantesques. Ironiquement, ces mots pourraient tout aussi bien s’adresser à nous, spectateurs, à l’orée de ce film de 2h25 entouré de mystère.

Cet avertissement pourrait également s’adresser aux comédiens du film, dont on peut se demander s’ils avaient idée d’où ils mettaient les pieds lorsque le tournage a débuté… en 2007 !  DAU est en effet un projet pharaonique, unique dans l’histoire contemporaine du cinéma. La base militaire en question a été reconstruite de toute pièce en Ukraine, les 300 acteurs et figurants – soumis à des clauses de confidentialité –  y ont vécu nuit et jour en costumes d’époque durant les 40 mois de tournage. De quoi donner lieu aux rumeurs les plus folles (propagande, pornographie, violences). Au final, les 700 heures de rush ont enfanté plusieurs projets: un exposition à Paris, un très long métrage de 7h (Dégénération), présenté hors compétition a Berlin, un site internet à venir, et ce DAU. Natasha, qui se concentre sur une petite poignée de personnages. 

Dans un complexe coupé du monde, où seules paraissent vivre quelques scientifiques et militaires aux expériences inquiétantes, Natasha règne en maitresse sur la cantine, servant de généreuses portions en évitant de poser trop de questions. Son service est courtois mais soucieux de respecter les structures de pouvoir tordues qui règnent dans cette cocotte-minute prête à imploser, où personne ne parle la même langue et ne peut réellement communiquer malgré une tension sexuelle permanente. Le labo-bunker dans lequel se cognent et s’enivrent ces personnages (même la caméra tangue) est tellement isolé et renfermé qu’il pourrait tout aussi bien s’agir d’un sous-marin ou même d’un vaisseau spatial post-apocalyptique renfermant les derniers survivants de l’humanité et leur sauvage besoin d’ivresse. 

Par jeu, folie ou cruauté, Natasha prend un pervers plaisir à transférer sur sa jeune collègue tous ces jeux de pouvoir. Elle la tourmente en la forçant à la rejoindre dans des cuites aux dimensions titanesques, des sauts dans le vide à la vodka qui finissent dans une nudité crue et des pleurs pathétiques parmi les assiettes sales. Emplies de ressentiment et de frustration, ces scènes d’ébriété extrême font basculer le film dans un vertige sans garde-fous, où les actrices elles-mêmes perdent pied. Le résultat est unique: impudique bien sûr, souvent éprouvant, parfois drôle, entravé d’une angoisse contagieuse. Au final DAU.Natasha est un film qui – dans le meilleur sens du terme – monte a la tête, vite et fort comme le plus puissant des alcools de contrebande. Qui d’autre peut s’en vanter ?

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par Gregory Coutaut

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