Critique : Chroniques chinoises

Janvier 2020. Une équipe de tournage se réunit dans un hôtel près de Wuhan pour reprendre la production d’un film interrompu dix ans plus tôt. Mais un événement inattendu vient à nouveau contrarier les préparatifs et l’équipe est confinée avec leurs écrans comme seul contact avec le monde extérieur.

Chroniques chinoises
Chine, 2024
De Lou Ye

Durée : 1h45

Sortie : 23/10/2024

Note :

COUPEZ !

« Je filme tout » : les propos tenus par le personnage de cinéaste au tout début de Chroniques chinoises sonnent comme une profession de foi. On y prête d’autant plus attention que le parallèle avec Lou Ye est évident : le réalisateur à l’écran retrouve l’un de ses acteurs, qui se trouve être un habitué de son propre cinéma (Qin Hao, vu dans Nuits d’ivresse printanière, Mystery, Blind Massage et The Shadow Play) tandis que l’on revisionne des images d’un de ses anciens films… images qui proviennent de Nuits d’ivresse printanière. Ce regard personnel et rétrospectif sur la propre œuvre de Lou Ye rappelle la démarche vertigineuse effectuée au même moment par son compatriote Jia Zhang-ke qui, dans Les Feux sauvages, raconte deux décennies en Chine tout en reparcourant son propre cinéma.

« Je ne faisais pas de compromis, alors ils ont coupé les fonds », commente le héros cinéaste. Là encore, entre la diffusion de Summer Palace (Une jeune chinoise) qui lui a valu une interdiction de tourner ou plus récemment les nombreux remontages pour la version internationale de The Shadow Play, ce clin d’œil paraît être une référence directe au parcours semé d’embûches de Lou Ye. Ainsi, les questionnements sur la responsabilité du cinéaste vis-à-vis de son équipe dans Chroniques chinoises, ainsi que sur la censure et la manière dont des films peuvent être rendus invisibles, trouvent un écho plus profond que la stricte histoire que l’on voit se dérouler à l’écran. Le héros de Chroniques chinoises se montre philosophe, mais le film laisse une porte ouverte pour imaginer ce que pourrait être la carrière de Lou Ye si celui-ci (lui, comme d’autres cinéastes chinois) n’avait pas à affronter la censure.

Dans le long métrage, les personnages se replongent, émus, dans d’anciennes images tournées. « Dis-donc c’est sombre » commente t-on, « On n’avait qu’une caméra DV » répond le réalisateur. On redécouvre les images restées endormies dans un ordinateur depuis dix ans comme on déterrerait des reliques sur un site antique. Ce récit métafilmique laisse place à une autre histoire quand surgit, de manière méta là aussi, la pandémie du COVID. On assiste, sans surprise, à l’incrédulité et à la précipitation. Cette irruption du confinement est un autre effet de réel dans ce film qui est l’inverse des habituels témoignages bourgeois et confortables sur le sujet : ici, tout le monde est coincé dans les chambres anonymes d’un hôtel moche.

Les images brutes de téléphones, les TikTok et kaléidoscopes d’images de quarantaine emmènent le long métrage vers une autre histoire. Malgré son aspect plus universel (le confinement ici ou là peut ressembler à un confinement ailleurs), ce n’est peut-être pas la partie la plus immédiatement émouvante du film, en tout cas pas la plus intime. Mais entre des films empêchés par les autorités et un nouveau projet court-circuité par un désastre mondial, Chroniques chinoises raconte de manière poignante, mi-amusé mi-fataliste, les forces auxquelles un tournage peut être soumis et qu’un cinéaste essaie de vaincre.

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par Nicolas Bardot

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