Alors que les violences LGBTphobes en Grèce sont en augmentation, Avant-Drag! capture le dynamisme de la scène drag underground d’Athènes et son rôle dans le repoussement des frontières et l’expression des identités dissidentes. Pour cela, le film brosse le portrait de dix artistes drag athéniens aux profils variés qui déconstruisent le genre, le nationalisme, l’appartenance, l’identité, tout en faisant face à la brutalité policière, à la transphobie et au racisme.
Avant-drag !
Grèce, ann2024ée
De Fil Ieropoulos
Durée : 1h32
Sortie : –
Note :
ROIS ET REINES
« Bienvenue à Athènes : les statues, les flics, les propriétaires, les touristes, les fascistes et les carriéristes en herbe vous accueillent » : l’introduction mordante d’Avant-drag ! donne le ton du documentaire réalisé par le Grec Fil Ieropoulos, qui propose une série de portraits et témoignages au cœur de la scène drag alternative de la capitale (lire notre entretien). La ville est un musée, la ville est un cimetière ? On note néanmoins assez vite de traces de paillettes indélébiles au sol. Il y a des tags aux murs, sur les rideaux de fer, sur des arbres. « Je me réapproprie l’espace » entend-on dans Avant-drag !, où les kings et queens sont filmé•es non pas dans un cabaret nocturne ou dans un bar en sous-sol mais à la lumière du jour, dans la rue.
Cette présence est politique : celles et ceux qu’on pousse dans les marges sont ici au centre de la cité, distribuent des tracts, prennent la parole. Si Ieropoulos s’adresse à des artistes aux personnalités et sensibilités différentes, si leurs drags s’expriment de différentes manières, iels sont réuni•es par une même approche politisée et radicale du drag. A quoi bon arrondir les angles ? « Dans un pays réactionnaire, même le drag mainstream est considéré comme un désagrément » : cette remarque vaut pour la Grèce comme dans de nombreux pays dans le monde.
All drag is valid, mais disons qu’il n’est pas question ici de contrats avec des marques de luxe ou de tutos make-up sponsorisés. Les fringues sont trouvées dans les poubelles, la barre du plus pourri des wagons se prête au pôle dance. A l’heure d’un drag popularisé par la télévision, passé par la machine à mainstreamisation et dont la dimension politique peut devenir plus secondaire, Avant-drag ! revient aux racines d’une contre-culture. Le drag est un outil pour lutter contre les oppressions, qu’elles soient homophobes, patriarcales, religieuses ou xénophobes. Le film évoque la menace d’un drag vidé de son sens : « la main invisible du capitalisme arrive, la main de papa et maman. Sois parfaite ! Pourquoi ? Je veux être idiote, faire n’importe quoi, être crade ! ».
Fil Ieropoulos compose des portraits attentifs, qui s’ouvrent chacun par des gros plans successifs : un profil, un regard, une langue (généralement bien pendue). Le dispositif simple met en valeur les paroles – d’abord une par une, puis réunies, en communauté. Si tout cela peut être éminemment sérieux, le film laisse place à la fantaisie – une autre composante essentielle dans le drag. Comment faire autrement dans le décor tragi-comique de la Grèce contemporaine ? Les grandeurs antiques énumérées se heurtent au réel quand des personnes déguisées en Mickey et Minnie miteux sont filmées dans des lieux touristiques. L’identité nationale n’est faite que de mythes passés et de fantasmes contemporains. Et le drag dans tout ça ? Super héroïnes et clowns font du réel un galvanisant théâtre de l’absurde (« Prier à l’école, c’était ma première performance drag »). Dans un pays fier de ses monuments, le drag « ouvre les portes de la cave ». Le documentaire nous y invite avec générosité et bon esprit, tandis qu’une queen trouve un oxymore très approprié pour décrire l’art du drag : « nous sommes les plus précieuses, et les plus cheap ».
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par Nicolas Bardot