Festival de Rotterdam | Critique : Achrome

Le naïf Maris rejoint la Wehrmacht pendant l’occupation nazie des pays baltes, avec son frère et plusieurs autres habitants du village. Les casernes se situent dans un monastère, et Maris – que tout le monde considère comme un imbécile – semble voir son destin comme une vocation religieuse. Jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux sur la mauvaise conduite des soldats, et qu’il prenne sur lui de sauver une jeune femme.

Achrome
Russie, 2022
De Maria Ignatenko

Durée : 1h36

Sortie : –

Note :

REDEVIENS LES CONTOURS

« Il est comme un petit agneau ». Voici ce qu’on dit de Maris, protagoniste qui n’a rien d’un héros vaillant mais qui s’engage quand même à la guerre. Plus précisément, il s’engage non pas dans la résistance mais auprès des nazis qui occupent la région où il vit. Une décision qu’Achrome fait le choix de ne jamais expliquer. Il est d’emblée clair que le film ne se situe de toute façon pas du tout dans le réalisme du film historique ou du drame psychologique. Son ambition esthétique est autre et ses enjeux se situent ailleurs. La réalisatrice Maria Ignatenko laisse d’ailleurs une place remarquable au silence, mettant au cœur-même de son film une inquiétante absence de raisons. Comme s’il n’y avait rien qu’on puisse dire ou faire face au rouleau compresseur de l’Histoire.

Il y a là à l’œuvre une intrigante dynamique entre ces nombreuses ellipses et des plans qui prennent au contraire tout leur temps. Achrome parait en effet se dérouler intégralement dans un léger ralenti. La brume s’y faufile partout, des chaumières jusqu’aux églises, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus toujours distinguer l’intérieur de l’extérieur. Ce brouillard vient d’ailleurs souligner l’éclairage laiteux et glacé qui baigne tout le film, et qui rappelle la lenteur splendide et majestueuse des tours de force esthétiques de Sokurov. Achrome porte bien son nom et travaille une autre perte de repères : les couleurs y sont désaturées jusqu’au monochrome, de la couleur de la boue dans laquelle se démène Maris.

Maris est un anti-héros en apnée dans un monde qui a déjà l’air englouti. Maria Ignatenko n’y va pas de main morte. Son film est parfois empesé par tant de sérieux, et ses ralentis neigeux menacent de virer à la chape de plomb ou à du Laurent Boutonnat. Achrome est néanmoins servi par sa brièveté, ainsi que par sa manière habile et poignante de brouiller des frontières supplémentaires. Visuellement superbe, le long métrage n’est pas qu’un vain exercice d’esthète détaché de la réalité. Dans un monde où l’on ne distingue plus vraiment les contours, la frontière entre le bien et le mal, les vivants et les morts, les personnages sont contraints à errer dans des limbes, transformés par la guerre en futurs fantômes.

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par Gregory Coutaut

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