Festival des 3 Continents | Critique : A River Runs, Turns, Erases, Replaces

Une étude des espaces urbains dans la ville de Wuhan, le long du fleuve Yangtsé. La ville est une scène commune où les individus se produisent de différentes façons. Certains dansent, chantent, nagent ; d’autres manient une pelle, un fer à souder, un marteau. Ce paysage évolutif est continuellement sculpté par la nature et transformé de façon spectaculaire par le rugissement des machines et les immeubles qui ne cessent de s’élever…

A River Runs, Turns, Erases, Replaces
Chine, 2021
De Shengze Zhu

Durée : 1h27

Sortie : –

Note :

CITY OF LIFE AND DEATH

A River Runs, Turns, Erases, Replaces débute sur des images de vidéosurveillance montrant une rue entièrement vide. Nous sommes à Wuhan, l’épicentre de la pandémie du Covid-19, et la date indiquée à l’écran est le 3 avril 2020. Un simple cut plus loin, le cadre n’a pas bougé, la rue n’a pas changé si ce n’est que petit à petit, des humains y apparaissent à pas timides. Une désagréable sirène vient briser la chape de silence, tel l’alarme d’un réveil envahissant. Nous sommes désormais le 4 avril 2020, date de fin du confinement, date du retour à une vie extérieure.

La cinéaste Shengze Zhu (couronnée à Rotterdam en 2019 avec Present.Perfect, documentaire qui utilisait déjà des images publiques et anonymes) a vécu la majeure partie de sa vie à Wuhan. Film de son retour sur place, A River Runs… est pourtant moins un règlement de compte politique qu’un message personnel. Aux images de Wuhan pendant la pandémie, qui ont déjà voyagé dans les journaux télé du monde entiers, Shengze Zhu (lire notre entretien) offre des images de l’après. Elle filme de façon aiguisée la renaissance (on valse au bord du fleuve, on vient admirer pour la première fois depuis longtemps la splendide illumination nocturne des gratte-ciel), la reconstruction (les chantiers, les récoltes), une gigantesque remise en marche vers l’avenir, mais aussi le poids du passé.

Les images d’A River Runs sont entièrement muettes, cela les rend parfois un tantinet arides, mais elles n’ont pas besoin d’un quelconque commentaire pour se faire évocatrices et émouvantes. Car en arrière-plan de toutes ces manches retroussées, Shengze Zhu montre que la mort est toujours présente, plaçant dans le même cadre buildings futuristes et ruines abandonnées. Sans oser briser le silence, de brèves lettres écrites par des habitants à l’attention de proches disparus pendant la pandémie apparaissent à l’écran. Les messages les plus intimes planent alors au dessus de la ville. On y parle de la peur de se confronter au passé, mais aussi de résilience et d’espoir. Particulièrement poignantes, ces scènes sont parmi les plus puissantes du film.

La ville fantôme aperçue dans les premiers plans devient alors une ville de fantômes. Du politique des images de surveillance, A River Runs passe à un récit plus humain, puis bascule encore vers une autre échelle, celle encore plus grande de la nature et de son cycle sans fin. Sans naïveté (on peut dire que le film commence par le Covid et se clôt sur le dérèglement climatique), Shengze Zhu allie une forme brute et l’ardeur de l’intimité. La vie continue. Dans le vie, c’est parfois une formule creuse. C’est ici à la fois une angoisse palpable (la disparation irrémédiable du passé) et une force bouleversante qui nous dépasse, celle d’un fleuve immense qui ne se tarit jamais.


> A River Runs, Turns, Erases, Replaces est visible en ligne dans le cadre de Cinéma du Réel le jeudi 18 mars 21h et le vendredi 19 mars 16h30

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par Gregory Coutaut

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