Critique : A Different Man

Edward, un acteur new-yorkais ambitieux, subit une intervention chirurgicale radicale pour transformer totalement son apparence. Ainsi, beaucoup de choses changent dans sa vie – mais de manière troublante, tout reste pareil…

A Different Man
États-Unis, 2024
De Aaron Schimberg

Durée : 1h52

Sortie : –

Note :

LE VISAGE D’UN AUTRE

Le temps d’un plan rapide au début d’A Different Man, on peut voir une jeune femme dans le métro new-yorkais en train de lire L’Oeil le plus bleu de Toni Morrison. Dans ce roman écrit en 1970 par la grande autrice américaine, une jeune fille souffre de voir sa peau noire considérée comme un « défaut » physique, et ne rêve que d’une chose : avoir des yeux bleus. Un clin d’œil, si l’on peut dire, au destin d’Edward, protagoniste d’A Different Man. Cet aspirant acteur souffre de neurofibromatose, son visage passe difficilement inaperçu et une opportunité divine tenant de la science-fiction pourrait lui changer la vie. La particularité d’Edward semble être un aimant à weirdos, et c’est précisément les gens qui l’entourent (des inconnus qui l’interpellent dans l’espace public à sa voisine intrusive et insupportable) qui ne savent pas comment se comporter à son contact.

Peut-on tout mettre sur les réflexes reptiliens du cerveau ? Face à ce qui est perçu comme un handicap, Edward doit-il se conformer à la narration condescendante des autres ? Et qu’en pense Lady Gaga ? A Different Man, troisième long métrage de l’Américain Aaron Schimberg, pose mille et une questions passionnantes sur l’identité – sur ce que l’on est, sur qui l’on pense être, sur ce qu’on renvoie, sur ce qu’on change ou ce qu’on ne change pas. Tout cela pourrait être parfaitement sérieux (ça l’est), et pourtant rien n’est si sérieux dans ce drôle de film, qui utilise l’ironie, l’humour noir, le grotesque et un certain mauvais esprit comme outils dans cette quête existentielle.

Ce ton grimaçant peut être perçu comme une légèreté ou un éparpillement ; il vient plutôt traduire le chaos personnel dans lequel Edward se trouve. Le récit regorge de surprises qu’on ne dévoilera pas, mais voilà un film particulièrement ambitieux qui livre piste après piste après piste. Est-ce que tout est réussi ? A nos yeux, probablement pas – la direction d’acteurs façon sitcom de Sebastian Stan et Renate Reinsve est discutable, le dénouement en roue libre n’est peut-être pas le point fort du récit… mais penser qu’un film doit être parfait pour être très bon est une fausse idée. A Different Man se distingue aussi parce que le long métrage se cogne et tombe par terre, comme s’il essayait de tenir débout dans un manège de fête foraine.

Quel contrôle a-t-on réellement de sa propre vie, même en cas de changement en apparence radical dans le cas d’Edward ? Schimberg traite cette question sous forme de fable avec les vertiges qu’elle permet : c’est une histoire de faux visages et de vrais masques, de faux masques et de vrais visages ; l’identité est un élément toujours infiniment plus complexe que ce que renvoient un miroir ou le regard des autres. Qu’est-ce qui fait de soi un individu, et pas une créature à exploiter, à fétichiser ? Est-ce qu’un scan de crâne comme au tout début du film peut apporter une réponse ? La quête existentielle que Schimberg tente de raconter est parsemée d’impostures car visiblement, personne n’en sait rien. Au croisement du chaos absurdement angoissé de Beau is Afraid et de la vertigineuse mélancolie identitaire de Dans la peau de John Malkovich, A Different Man est un film aux paris excitants dans lequel se distingue également Adam Pearson, découvert il y a quelques années dans Under the Skin.

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par Nicolas Bardot

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