Notre invité de Lundi Découverte est le Cambodgien Kavich Neang, à l’honneur cette semaine au Festival Cinéma du Réel avec son documentaire Last Night I Saw You Smiling. Ce film d’une grande beauté mélancolique raconte comment 500 familles sont priées de quitter l’immeuble qu’elles habitaient avant que celui-ci ne soit détruit. Élève de Rithy Panh, Neang vivait lui-même dans ce building. Il a répondu à nos questions.
Quel a été le point de départ de Last Night I Saw You Smiling ?
Ça a été l’annonce de la destruction du White Building. J’ai immédiatement pris une caméra à des amis pour filmer sans savoir quel serait précisément le sujet. C’était à la fois triste et choquant pour moi de voir ma famille et mes voisins quitter tout d’un coup le bâtiment. J’ai commencé par filmer chaque moment passé dans le building, et j’ai tourné jusqu’à ce qu’il soit démoli. Pendant le montage, j’ai recherché mes souvenirs et la relation que j’avais avec le bâtiment : c’est comme ça que le film a débuté.
Dans Last Night I Saw You Smiling, il y a une scène dans laquelle une femme dit « Ça me rappelle l’époque de Pol Pot ». Dans quelle mesure diriez-vous que vous racontez ici une histoire politique ?
Ce n’était pas mon intention initiale de faire un film politique, mais cela s’est imposé naturellement au moment de partager les derniers instants avec les habitants à l’intérieur du bâtiment. Mais j’avais surtout envie de fixer mes souvenirs et les leurs. C’était une improvisation, et je n’avais pas d’histoire en tête pendant le tournage. Cela m’a donné beaucoup de liberté et m’a autorisé à tourner tout ce que je voulais. Au final, j’ai juste suivi mon instinct.
Votre caméra est proche des habitants qui racontent leurs histoires. Mais il y a beaucoup de moments où vous filmez les lieux vides – particulièrement à la fin. Comment avez-vous envisagé de filmer ces scènes silencieuses ?
C’est un sentiment très étrange lorsque l’endroit qui a été votre maison pendant tant d’années se transforme rapidement en un espace vide, comme si personne n’y avait jamais vécu. Je perds parfois la réalité de vue. Pour moi, le vide de ce bâtiment vient avant tout exprimer une douleur.
Rithy Panh a produit vos deux premiers courts métrages. Qu’avez-vous appris de lui ?
C’était formidable d’être un élève de Rithy pendant presque deux ans. Rithy Panh a une façon unique de faire ses films. L’une des choses les plus importantes que j’ai pu apprendre, c’était de filmer mes documentaires caméra à l’épaule afin d’être au plus près de mes protagonistes et de leurs émotions. Il y a cette citation de Rithy Panh que je garde en tête : « Je fais des films avec le sujet et pas au dépend d’un sujet ».
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
J’adore Hou Hsiao-Hsien.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
San Danech, une jeune réalisatrice cambodgienne, qui a fait son premier court métrage de fiction intitulé A Million Years. J’ai été impressionné par son court après l’avoir vu sur grand écran à Rotterdam cette année. La profondeur de l’image et du son est puissamment cinégénique, je n’arrive toujours pas à croire que c’est sa première œuvre en tant que réalisatrice.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 12 mars 2019. Un grand merci à Catherine Giraud.
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