Quinzaine des Réalisateurs | Entretien avec Dahee Jeong

Couronnée au Festival du Film d’Animation d’Annecy avec Man on the Chair, la Coréenne Dahee Jeong fait son retour avec Movements. Ce court métrage, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs, propose une ambitieuse réflexion sur le temps à travers un style visuel séduisant et enfantin. Elle est notre invitée de ce Lundi Découverte.

Quel a été le point de départ de Movements ?

Quand j’ai fini mon dernier film, The Empty, j’ai pensé que j’avais suffisamment fait mon introspection. J’ai réalisé trois films qui se passaient dans une chambre alors j’ai voulu en sortir. Je me suis mise à beaucoup penser à la différence entre les gens. Il y avait beaucoup de conflits sociaux en Corée. D’un point de vue personnel, l’un de mes amis m’a dit que j’allais trop vite pour lui, mais l’une de mes amies me disait au contraire que j’étais lente. Alors j’ai réfléchi à la vitesse de chacun, à la relativité et à comment vivre ensemble avec nos différences.

Par ailleurs lorsque j’étais étudiante, j’ai écrit un mémoire sur l’immobilité et la mobilité. J’avais fait des recherches sur les différentes vitesses de mouvement dans les films. Dans Movements, j’ai représenté ces vitesses à travers des personnages ; j’ai créé des personnages hyper lents – lents – moyens – rapides – à l’envers, puis j’ai écrit le scénario.

Le style visuel de Movements est très doux, adorable, presque enfantin… alors que votre film n’est pas un film pour enfants. Pouvez-vous nous en dire plus sur les choix esthétiques que vous avez faits pour raconter cette histoire ?

Je ne me suis pas rendu compte que ce style était presque enfantin. Mais ce film est une comédie, je voulais qu’il y ait de l’humour, qu’il soit amusant. Et il n’y pas de méchants dans ce film, même s’ils sont tous très différents, même s’il est impossible de se comprendre. Je voulais qu’ils soient tous adorables en tant que tels. 

Pour les choix esthétiques, il était important de donner une impression réaliste en exprimant le contraste et en ne changeant pas beaucoup la forme ou les proportions des êtres humains, des végétaux et des animaux. Je pense que le contenu de ce film est absurde et irréel à l’opposé de l’image et du son qui sont réalistes. J’aime ce déséquilibre.

De la même manière et comme vous l’avez suggéré, derrière le trait naïf, votre film propose une réflexion ambitieuse sur le temps. En quoi ce thème vous a t-il interpellée et touchée ?

Depuis que je fais des films d’animation, j’ai tendance à penser que l’animation elle-même traite du temps. Le temps est à la fois le sujet du film et c’est un paramètre d’existence auquel on ne peut pas échapper. Il contient la vie et la mort, le bonheur et la douleur en même temps. 

Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?

Il y a des cinéastes qui m’inspirent beaucoup comme Michèle Lemieux, Georges Schwizgebel et Solweig Von Kleist. Ils m’ont appris comment regarder différemment un écran rectangulaire, avec ses limites, et ils m’ont fait réfléchir au matériel et l’immatériel, à l’existence et à la non-existence. 

J’aime aussi beaucoup des réalisateurs qui ont fait du documentaire avant de faire de la fiction comme Abbas Kiarostami, Hirokazu Kore-Eda et Ken Loach. Dans leurs films, ils reflètent des réalités de la société et ils posent des questions complexes et auxquelles il est difficile de répondre. 

Il n’est pas facile de vivre en tant qu’artiste et en tant que cinéaste en Corée. Je pense qu’il en est de même dans tous les pays. Les cinéastes qui réalisent régulièrement des films pendant toute leur vie m’inspirent beaucoup aussi. 

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf au cinéma, de découvrir un nouveau talent ?

Cela m’arrive souvent de découvrir quelque chose de neuf au cinéma. Chaque vie, chaque point de vue est unique en soi. Récemment, j’ai découvert Stay Awake, Be Ready de Pham Thien An (lire notre entretien) à la Quinzaine des Réalisateurs. L’histoire se déroule dans la vraie rue où les comédiens jouent comme s’ils étaient sur une scène de théâtre, montrant une tranche de vie de la société vietnamienne.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 29 mai 2019. Un grand merci à Catherine Giraud.

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