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Cluj, Transylvanie. Après avoir été chassé de son abri dans la cave d’une maison, un sans-abri se suicide. Orsolya, qui a procédé à l’expulsion, est confrontée à son sentiment de culpabilité.
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Kontinental’25
Roumanie, 2025
De Radu Jude
Durée : 1h49
Sortie : –
Note :
LA DÉRIVE DES CONTINENTS
Le titre Kontinental’25 (ainsi que certains motifs de son intrigue) constituent un clin d’œil à Europe 51 de Roberto Rossellini. Sauf que le Kontinental en question dans le nouveau long métrage du Roumain Radu Jude est un vulgaire hôtel – pardon, un smart hôtel prêt à accueillir une clientèle chic. Autant dire pas le clochard qui survit dans la cave du futur établissement, et qui parcourt la ville en y ramassant tout ce qu’il trouve. Lors d’une scène extraordinaire en forêt, ledit SDF, en un contraste hilarant et un timing comique parfait, croise un dinosaure – plus précisément un automate en plastoc d’un parc d’attraction. C’est une farce qui invite les ha ha ha, mais finalement, la présence d’un SDF dans les rues est filmée comme si celle-ci était aussi incongrue que l’irruption d’un tyrannosaure dans les bois. On reconnaît là le Radu Jude à la fois farceur et corrosif.
Ce SDF n’est pas attendu dans le décor car Kontinental’25 se déroule à Cluj, un adorable ville aux murs délicieusement colorés mais qui est aussi un lieu en plein boom de gentrification. Orsolya, huissière, indique au pauvre homme grommelant qu’il doit quitter les lieux – il les quitte mais de manière radicale : en se suicidant. En un décalque à la Psychose, Kontinental’25 laisse le protagoniste mort et s’intéresse à celle qui, d’une certaine manière, en est responsable. Orsolya se sent coupable, et le film examine les blessures de sa conscience. Mais Radu Jude a trop de mauvais esprit pour s’épancher : même bien intentionnée, Orsolya fait part bien tard de son dilemme moral, et participe de toute façon malgré elle à un système qui produit du malheur. Alors que le cinéaste possédait un radar pour filmer tout ce que Bucarest pouvait avoir de moche dans Bad Luck Banging, il ne perd pas une occasion ici pour saisir chaque détail absurde de la ville – pendant que ses SDF s’y foutent en l’air.
Cette cohabitation poursuit le fil rouge de la tragi-comédie humaine dans sa filmographie, notamment sa portion récente. Il est bien difficile d’être digne dans cette laideur insensée, il y a toujours un bruit de fond qui parasite les bonnes paroles. Une discussion sur les ONG est recouverte en ville par une techno qui sort d’on ne sait où ; une discussion conjugale est accompagnée de pubs idiotes diffusées par une télévision que personne ne regarde. Jude reste un grand cinéaste de la bêtise dans ce film où, comme des ploucs, les gens se disputent encore la propriété de la Transylvanie et font des concours de xénophobie tandis que les « docteurs en idiotie » se multiplient. Les fières statues se dressent dans la ville mais les personnages ont plutôt tendance à finir à quatre pattes.
Orsolya se confie à différents types de personnages, elle parle beaucoup (le film est bavard, un peu trop) mais le réconfort n’est pas aisé à trouver. Il est plus facile – et plus humain – d’être lamentable, en se murgeant la gueule ou en parlant mal à des gamins. Tourné à partir d’un micro budget, en une dizaine de jours et avec une image brute, Kontinental’25 exprime un même sentiment direct, chaotique – personne n’est là pour délivrer des leçons, même en parlant jusqu’au bout de la nuit. Radu Jude filme la ville qui s’étend, belle puis laide, vivante et vide, cimetière puis château – autant d’endroits prêts à accueillir de nouveaux drames ou de nouvelles comédies.
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par Nicolas Bardot