Festival de Rotterdam | Critique : Fiume o morte!

À travers des reconstitutions dramatiques et des apartés documentaires, Igor Bezinović capture l’esprit du poète, dramaturge, journaliste, aristocrate et officier italien Gabriele D’Annunzio, et le fascisme naissant dans ses tentatives d’annexion de la ville de Fiume (Rijeka) à l’Italie au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Fiume o morte !
Croatie, 2025
D’Igor Bezinović 

Durée : 1h52

Sortie : –

Note :

LA VILLE EST TRANQUILLE

Où situer une ville sur une carte ? Voilà une question qui ne devrait normalement pas susciter d’hésitation. Or quand on se penche sur cas particulier de la ville croate de Rijeka, tout se complique. En effet, selon les époque, la ville s’est retrouvée située dans 9 pays différents, de l’Empire Austro-Hongrois à la Yougoslavie en passant par le Royaume d’Italie. On pourrait croire que dans un lieu au passé aussi riche et métissé, l’Histoire se retrouverait gravée dans le marbre (c’est d’ailleurs ce que paraissent indiquer plusieurs plans du film, montrant qu’à l’entrée de chaque immeuble se trouve encore l’année de son érection). Il n’en est pourtant rien.

En effet, un très grand nombre d’endroits à Rijeka portent le nom de Gabriele d’Annunzio, mais quand le documentariste croate Igor Bezinović (natif de la ville) trimballe sa caméra place du marché pour aller interroger ses concitoyens, il n’y en a presque pas un pour se rappeler qui était l’homme derrière ce patronyme. Ca tombe bien, c’était un fasciste. Un poète et un homme de lettres fantasque, certes, mais surtout un fasciste. « Mince, on m’avait dit de pas trop parler de fascisme dès le début du film » s’amuse Bezinović.

Il y a un an presque jour pour jour, la Berlinale sélectionnait Through the Graves the Wind Blows de l’Américain Travis Wilkerson, un passionnant mélange de documentaire et de fiction traitant avec humour d’un thème qui n’a pourtant rien de drôle : la montée du fascisme en Croatie. Drôle de hasard de revoir si vite ce thème traité là encore avec drôlerie et théâtralité, mais les deux films s’avèrent en réalité fort différents. Bezinović engage une poignée d’amateurs pour rejouer dans différents lieux de la ville (parfois même dans des rues passantes qu’on n’a pas pris la peine de vider) des reconstitutions de la vie publique de D’Annunzio.

Outre la réécriture collective de l’Histoire qui s’opère alors devant la caméra, le dispositif arty (tantôt passionnant, tantôt un brin répétitif) de Fiume o morte ! confirme par l’absurde la mise en scène déjà pathétique qui était à l’œuvre dans la propagande d’époque. A l’époque où certains des hommes les plus puissants du monde ne font même plus semblant de cacher leur admiration pour les nazis, la piqure de rappel n’a rien de superflu. Dans ce documentaire où la population locale tient le rôle principal, on s’étonne d’ailleurs agréablement de ne croiser aucun fanatique nostalgique de cette période. Ces derniers, on les voit finalement dans le film mais de l’autre côté de la frontière, en Italie. Là-bas, D’Annunzio n’a pas du tout la même réputation, on lui érige même des statues. Comme quoi l’Histoire ne cesse jamais d’être réécrite, raison de plus pour empoigner le style soi-même, et ensemble.

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par Gregory Coutaut

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