Festival de Busan | Critique : Regretfully at Dawn

Yong, un ancien soldat, habite dans un village paisible en Thaïlande. Il vit avec sa petite-fille qu’il élève comme son propre enfant, et son chien Rambo. Yong pense à celles et ceux qu’il a aimés et ressent le temps qui passe.

Regretfully at Dawn
Thaïlande, 2024
De Sivaroj Kongsakul

Durée : 1h57

Sortie : –

Note :

LE TEMPS DURE LONGTEMPS

Le Thaïlandais Sivaroj Kongsakul s’était fait remarquer il y a 14 ans dès son premier long métrage, Eternity, qui avait été sélectionné à Busan, avant d’être couronné au Festival de Rotterdam et en France à Deauville Asia. Et depuis ? Kongsakul a signé des courts ou travaillé pour la télévision mais au cinéma en tout cas, plus rien – Deauville Asia a même eu le temps de couler entre temps. Le voici de retour, une éternité plus tard, avec Regretfully at Dawn. Bonne nouvelle : le cinéaste n’a rien perdu de son talent.

Eternity naviguait dans le temps et mêlait vie quotidienne et spiritualité. On retrouve ces ingrédients dans Regretfully at Dawn, qui est un film peut-être plus immédiatement narratif. Le long métrage s’ouvre par une discussion sur les chauve-souris entre un vieil homme et une jeune fille, quelque part à la campagne. On ne connaît pas encore leur lien, on les imagine intimes, cet échange à la fois fantaisiste et banal semble s’inscrire parmi les discussions qu’ils peuvent avoir tous les jours. Le premier plan de Regretfully montre un chien prêt à mordre ? C’est un leurre : dans ce coin de campagne, l’existence semble douce. Oui, la vie est dure, elle est chère, il fait trop chaud – comme partout, mais tout cela est nuancé par la douceur de l’image et du ton.

De fait, si dans le film un hymne chanté solennellement vante l’harmonie du peuple thaïlandais, les paroles finissent par évoquer les soldats et leur courage. Plus tard, une chanson mièvre à l’école en vient elle aussi à parler de soldats. La douceur de la vie de tous les jours coexiste avec un passé chargé. Lorsque le héros vient au chevet de la jeune fille endormie (on découvre entre temps qu’il s’agit de sa petite-fille), il tend vers elle sa main à laquelle il manque une phalange. En une déflagration (particulièrement notable dans un long métrage aussi contemplatif), Kongsakul opère une rupture temporelle. Yong, dans sa jeunesse, était soldat. Regretfully at Dawn ne s’étend pas tant que ça sur ce passé, mais plutôt sur le temps qui s’est écoulé depuis, la jeunesse évanouie, les blessures et les deuils.

La mise en scène sensible de Kongsakul vient apporter une perspective singulière sur ce qui peut être dramatique. Avec élégance, la caméra à distance inscrit remarquablement les protagonistes dans le décor, offrant aux spectatrices et spectateurs un espace, un recul sur ce qui se déroule. Doux et amer, dur et tendre : le cinéaste manie ces nuances avec une riche humanité, nourrie notamment par le superbe travail visuel opéré avec le brillant directeur de la photographie Umpornpol Yugala (déjà à l’œuvre sur Eternity et collaborateur d’autres talents thaïlandais comme Aditya Assarat ou Kongdej Jaturanrasamee). Regretfully at Dawn parle avec poésie du temps et de la famille. De la transmission, des liens rompus ou reconstruits. Il traverse avec une ambition tranquille la vie et la mort. Tout cela avec une précieuse et fragile hauteur, comme si l’on observait l’existence depuis une cabane dans les arbres.

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par Nicolas Bardot

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