Critiques : Les Graines du figuier sauvage

Iman vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Dépassé par l’ampleur des évènements, il se confronte à l’absurdité d’un système et à ses injustices mais décide de s’y conformer. A la maison, ses deux filles, Rezvan et Sana, étudiantes, soutiennent le mouvement avec virulence, tandis que sa femme, Najmeh, tente de ménager les deux camps. La paranoïa envahit Iman lorsque son arme de service disparait mystérieusement…

Les Graines du figuier sauvage
Iran, 2024
De Mohammad Rasoulof

Durée : 2h46

Sortie : 18/09/2024

Note :

GRAND ECRAN

Evacuons l’aspect négatif d’emblée : Les Graines du figuier sauvage ne débute pas avec ses sabots les plus légers. Avant même l’apparition de la première image et du titre (qui nous fait l’impression de sortir d’un générateur automatique de titres en forme de carte postale d’auteur), un carton vient expliquer avec emphase la métaphore convenue de cette plante rebelle, offrant même un inévitable ralenti sur l’apparition du mot « libre », qui rappelle l’introduction gênante de The Last Face. Le cinéma d’auteur iranien du milieu, tel qu’on le connait chez nous, est rarement avare de paraboles bien lisibles, et les films de Mohammad Rasoulof en particulier nous ont souvent fait l’effet d’appartenir à sa veine la plus prévisible en dépit de la pertinence de ses sujets. Or, son nouveau film a heureusement de quoi contredire les a priori.

Entre son précédent film (Le Diable n’existe pas, Ours d’or à Berlin en 2020) et celui-ci, deux événements majeurs se sont produits. D’une part une nouvelle arrestation et un séjour en prison pour le cinéaste, qui s’est depuis exilé en Europe, et d’autre part l’éruption du mouvement révolutionnaire « Femme, vie, liberté ». Ces événements, Rasoulof n’a pu les suivre que depuis l’intérieur de sa cellule, mais cela ne l’empêche pas d’en avoir fait le moteur de ce nouveau long métrage, et quel moteur. Si les toutes premières scènes laissent décidément craindre les symboles les plus balourds avec son palais de justice rempli d’aveugles et où les grands hommes sont représentés par des silhouettes en carton, il suffit que la caméra sorte dans le chaos de la rue pour que Les Graines du figuier sauvages frappe un très grand coup.

Les Graines… est bien sûr une fiction, on peut même dire que le scénario est plus romanesque que les précédents scénarios de Rasoulof, mais le cinéaste fait le choix électrisant d’y inclure un nombre important d’images réelles filmées à la première personne au cœur des manifestations et glanées sur les réseaux sociaux. L’effet de réel surgit comme un éclair dans la fiction. Ces scènes de jeunes femmes violentées par les forces de l’ordre pour avoir manifesté contre la dictature et la théocratie, on les connait grâce à nos petits écrans mais, dans le cadre d’un cinéma qui sort très rarement des voitures et des bureaux, leur surgissement possède une force rare. En passant d’un récit familial à une réelle épopée collective, on a alors l’impression galvanisante que l’écran de cinéma devient plus large encore.

Dans ses meilleurs moments, les Graines du figuier sauvage réussit la combinaison traditionnelle du cinéma iranien quand il est à son meilleur : l’alliance d’un drame psychologique soutenu et d’un film d’action à suspens. Cette tension ne disparait pas vraiment mais elle change de peau à mesure que le scénario prend des rails inattendus. Dans un effet symétrique étonnant, le récit revient en effet à une échelle plus modeste dans un dernier tiers, se concentrant non plus sur un collectif féminin mais sur l’unique personnage masculin du film et en épousant les codes du western, genre masculin s’il en est. Une conclusion un peu déboussolante pour un film dont le point d’orgue se trouve plutôt en son milieu.

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par Gregory Coutaut

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