1978. Depuis trois ans, le Cambodge, devenu Kampuchéa démocratique, est sous le joug de Pol Pot et ses Khmers rouges. Le pays est économiquement exsangue, et près de deux millions de Cambodgiens ont péri dans un génocide encore tu. Trois Français ont accepté l’invitation du régime et espèrent obtenir un entretien exclusif avec Pol Pot : une journaliste familière du pays, un reporter photographe et un intellectuel sympathisant de l’idéologie révolutionnaire. Mais la réalité qu’ils perçoivent sous la propagande et le traitement qu’on leur réserve va vont peu à peu faire basculer les certitudes de chacun.
Rendez-vous avec Pol Pot
Cambodge, 2024
De Rithy Panh
Durée : 1h52
Sortie : 05/06/2024
Note :
JE VEUX VOIR
Rendez-vous avec Pol Pot marque le retour du cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh à la fiction, plus de 15 ans après Un barrage contre le Pacifique avec Isabelle Huppert. Ce nouveau long métrage n’est pas un documentaire, et pourtant il est basé sur un matériau réel puisque le scenario est directement inspiré des écrits de la journaliste et correspondante de guerre américaine Elizabeth Becker sur le régime Khmer rouge. « Francisée » sous le nom de Lise Delbo et les traits d’Irène Jacob, celle-ci se rend au Cambodge sur l’invitation officielle du régime, accompagnée d’un photographe et d’un intellectuel aux idées un peu louches. Elle espère bien pouvoir ramener d’autres images que celles de la propagande d’état, et surtout pouvoir s’entretenir avec le dictateur Pol Pot lui-même.
Comment capter et transmettre des images interdites ? La question traverse le cinéma de Rithy Panh et ses documentaires riches en idées de mise en scène, qu’il s’agisse de la terrassante polyvision d’Irradiés ou des émouvantes figurines d’argile de L’Image manquante. On retrouve ces dernières ici le temps d’une séquence, ainsi que d’autres effets habituels du cinéaste (telles des rétroprojections sur des draps), jusqu’à ce que les images d’archives documentaires viennent se mêler à la fiction, dans un vertige ambitieux mais hélas un peu trop bref. En dehors de cela, la question morale de l’accès aux images demeure ici surtout l’affaire du scénario : le photographe accompagnant Lise disparait après avoir vu ce à quoi il ne devait pas assister.
La volatilisation a beau ne pas être élucidée, le spectateur ne risque pas de se tromper d’interprétation. Rithy Panh a en effet la main un peu lourde au moment d’utiliser les outils de la fiction : ses dialogues sont un peu explicatifs (c’était sans doute le risque qu’il y avait à reconstituer des entretiens journalistiques), la musique qu’il utilise est lourde de menace, et quelques archétypes font hausser le sourcil (tel ce grand méchant assis dans son fauteuil et caressant son chat). Rendez-vous avec Pol Pot n’est pas le film de Panh qui brille par ses choix artistiques les plus radicaux ou contemporains, mais c’est sans doute son film le plus accessible depuis quelque temps. Surtout, le film a bien sûr pour mérite de poser des questions passionnantes et toujours d’actualité sur le rôle et la responsabilité des médias en temps de conflit.
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par Gregory Coutaut