Critique : Une autre vie que la mienne

C’est l’histoire d’Andrej, bon mari et jeune père, dans une petite ville de Pologne. De plus en plus mal à l’aise dans son corps, il tente de trouver sa véritable identité, dans un pays passé en trois décennies du communisme au capitalisme. L’histoire de quelqu’un a qui on interdit d’être soi-même.

Une autre vie que la mienne
Pologne, 2023
De Malgorzata Szumowska et Michal Englert

Durée : 2h04

Sortie : 29/05/2025

Note :

DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE

Le monde fait-il encore sens lorsqu’on le regarde depuis la marge ? La logique des choses tient-elle encore debout si on les regarde soudain sous un autre angle ? Ces questions pourraient servir de point de départ à tous les films de la talentueuse réalisatrice polonaise Malgorzata Szumowska. Du prêtre attiré par son élève adolescent (Aime et fait ce que tu veux) au beau gosse défiguré que nul de reconnait (Mug) jusqu’au masseur réveillant la folie larvée chez des bourgeoises (Never Gonna Snow Again), tous ses protagonistes sont marginalisés malgré eux, et regardent avec une circonspection curieuse le monde qui les entoure. Ce regard interrogateur, c’est aussi celui de Szumowska, et tous ses films sont aussi des portraits intranquilles de la société polonaise.

Une autre vie que la mienne raconte l’histoire d’Aniela, une femme trans dans la Pologne des ces quarante dernière années. Ce récit ample où les époques se mélangent dans un tourbillon parfois épique, dresse un parallèle entre le parcours de cette héroïne en lutte pour sa liberté et la dignité, et l’histoire moderne du pays. L’idée peut paraitre naïve, mais pose néanmoins les bonnes question. Après la chute du communisme, toute la population a-t-elle pu bénéficier également de la liberté promise ? A l’écran les décennies défilent et Aniela s’affirme mais une chose reste immuable : l’omniprésence des clochers dans le paysage. Comme si rien n’avait changé dans les vieilles traditions patriarcales. La testostérone, c’est le pouvoir, comme on le rappelle ici.

Le titre original du film signifie « femme de », et le titre français pointe ironiquement le doigt vers une interrogation légitime que l’on peut avoir face au film : ni Malgorzata Szumowska ni son coréalisateur Michal Englert ni l’actrice Małgorzata Hajewska ne sont trans, est-ce à dire qu’ils racontent ici une « autre histoire que la leur » ? Si la question est là, c’est que, en parallèle de sa puissance mélodramatique, le portrait de Daniela n’est pas toujours à la pointe de la modernité en termes de représentation cinématographique. On peut par exemple s’interroger sur le choix de d’abord passer toute une longue partie sur la jeunesse du personnage et de le faire interpréter par un homme. On peut également souhaiter ne plus voir de scène de découverte de son nouveau corps nu devant un miroir. Mais attention à ne pas jeter bébé avec l’eau du bain.

Outre que Szumowska a déjà remporté le Teddy Award en 2013 (pour Aime et fait ce que tu veux), c’est tout simplement plus de cent personnes trans qui ont travaillé sur Une autre vie que la mienne, dont plusieurs qui apparaissent ici à l’écran… dans des rôles cisgenres. Ce dernier point est déjà une rareté dans le cinéma français alors que dire du cas de la Pologne, pays souvent jugé comme le plus homophobe et transphobe de l’Union européenne (il s’agit du seul état membre de l’UE à ne pas avoir de loi sur l’identité de genre et à ne pas reconnaître le mariage entre personnes de même sexe) ? Mais au-delà des ces éléments d’importance, il faut surtout reconnaitre à Une autre vie que la mienne la liberté poétique propre aux fables. Porté par un montage remarquable et une photo étonnante et riches en filtres, ce portrait intense et ample fait preuve d’une ambition esthétique qu’on aimerait croiser plus souvent.

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par Gregory Coutaut

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