C’est l’une des rayonnantes révélations de l’an passé et son film, Tower. A Bright Day. figure dans notre dossier des meilleurs inédits 2018 découverts en festivals. La Polonaise Jagoda Szelc a réalisé un film gonflé et imprévisible racontant des retrouvailles familiales sur lesquelles plane une mystérieuse menace. Le résultat est souvent fascinant et déborde de personnalité. Jagoda Szelc est notre invitée de ce Lundi Découverte.
Quel a été le point de départ de Tower. A Bright Day. ?
Ce dont parlent les films, ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est dans quelle mesure les films peuvent avoir un impact sur le spectateur et son comportement. Raconter des histoires a quelque chose de primitif. Dès le début, j’ai su que je voulais faire un film avec, à un moment donné, au moins un décrochage, une rupture de genre, comme un demi-tour. Je voulais rappeler au public polonais qu’il a le droit d’interpréter ce qu’il voit au même titre que les critiques ou professeurs. La liberté, ça s’exerce. L’art est, entre autres, fait pour ça.
Par ailleurs, nous traversons une crise géopolitique et écologique. Le capitalisme, tel qu’on le connait, ne peut plus durer car nous ne pouvons tout simplement pas continuer à sur-produire comme nous le faisons actuellement. A mes yeux, mon film parle d’une personne qui a le sentiment de posséder le monde, et d’une autre qui a compris qu’elle en est seulement la locataire. Soit nous finissons par comprendre cette idée d’être « locataire » de la planète et nous nous en occupons sérieusement, soit on va avoir des problèmes (ou on sera grave dans la merde si vous me permettez).
Votre film est tour à tour proche d’un portrait familial réaliste, d’un film d’horreur avec des touches de conte de fées, d’un drame mystique… Comment avez-vous abordé le style visuel de votre film pour marier ces différents tons, ces différentes atmosphères ?
C’est impossible à résumer en quelques phrases. La chose la plus importante pour mon directeur de la photographie Przemyslaw Brynkiewicz et moi-même était d’essayer de rester aussi humbles que possible. Bien sûr il y une part de Dogme, avec son approche liée au style documentaire. En quelque sorte, nos idées formelles ne correspondent pas à la définition classique d' »idées formelles », elles sont même à l’opposé. Ce décalage nous a permis de laisser encore plus de place aux potentielles interprétations.
Il y a une autre chose importante. C’est le langage, qui est crucial. Le langage est souvent insaisissable. Nous avons chacun une définition différente des mots tout en étant persuadé qu’il n’en existe qu’une. Demandez à vos amis ce que signifient des mots comme « liberté », « mère », « rapide », et les définitions varieront. Mais il y a un mot pour lequel, à mon sens, tout le monde aura la même définition, c’est le mot « mystère ». Et le mystère est un outil particulièrement précieux.
Pouvez-vous nous en dire davantage, justement, sur ce mystérieux titre (Tower. A Bright Day.) ainsi que son sous-titre « basé sur des événements futurs » ?
Un spectateur avisé m’a dit une fois que le film était un affrontement entre l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche du cerveau. Au tout début, le titre est « Tower », et c’est à la fin qu’il change en « Tower. A Bright Day. ». J’y vois une prophétie. Le film est « basé sur des événements futurs » tout simplement parce que vous allez choisir ce qui va arriver. Et vous serez obligés de choisir. Chacun voit son propre film, n’est-ce pas ?
Tower. A Bright Day. a été projeté au Festival des Arcs dans un programme spécial dédié au cinéma polonais. Avez-vous le sentiment qu’il y a quelque chose de neuf qui se passe actuellement dans le cinéma de Pologne ?
Oui, mais je suis également très inquiète vis-à-vis de la situation politique de mon pays. Tous les réalisateurs luttent actuellement. Et j’espère qu’on y survivra. Le Festival des Arcs a été une expérience fantastique car nous avons reçu beaucoup de soutien de la part des autres réalisateurs.
Quels sont vos cinéastes préférés, et/ou ceux qui vous inspirent ?
La plupart du temps, ce sont plutôt des peintres et des poètes qui m’inspirent. Je ne me vois pas comme une réalisatrice moi-même. Je ferai dès films tant que j’évolue, que je souhaite raconter une histoire en particulier. Je suis très inspirée par des jeunes peintres telles que Aleksandra Waliszewska ou Aleksandra Urban comme par des plus anciens comme Francis Bacon, Egbert van der Poel, Willem de Kooning, Lucian Freud. C’est ainsi que je fonctionne.
Quel est le dernier film où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf ou de découvrir un nouveau talent ?
C’est arrivé hier, c’est également arrivé avant hier. J’ai vu The Other Side of the Wind, le film inachevé d’Orson Welles. Brillant. Et j’ai énormément de respect pour le travail de Weronika Szczawińska. Elle est metteuse en scène de théâtre et dramaturge. Et c’est mon nouveau grand amour.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 2 janvier 2019. Un grand merci à Pawel Kosun.
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