Couronnée en début d’année au Festival de Rotterdam et primée récemment au Festival des 3 Continents, la réalisatrice camerounaise Cyrielle Raingou filme un village situé à la frontière avec le Nigéria et qui vit sous la menace de Boko Haram. Elle raconte avec finesse le quotidien, sans sensationnalisme, apportant une attention particulière au regard des enfants. Le Spectre de Boko Haram est sélectionné cette semaine au Festival de Films de Femmes de Créteil. Cyrielle Raingou est notre invitée.
Quel a été le point de départ du Spectre de Boko Haram ?
En 2015-2016, je suis allée travailler dans la région du grand Nord Cameroun avec le Cinéma Numérique Ambulant. Mon équipe et moi procédions à des projections des films à thème, suivies des débats avec la population. C’était également à cette même époque que Boko Haram avait commencé à attaquer certains villages au Cameroun. La rencontre avec cet espace, ces personnes qui avaient décidé de rester dans leurs villages respectifs en signe de résistance à cette entité qui voulait les priver de leur liberté, m’avaient inspirée pour raconter leur histoire. Par la suite, je suis descendue plusieurs fois sur le terrain pour approfondir mes recherches. La rencontre avec les deux frères Mohamed et Ibrahim a influencé l’orientation que j’ai finalement donnée au film.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur la place que vous avez accordée aux enfants dans votre film ?
Au départ, j’étais partie sur une idée de faire un documentaire avec les adultes. Mais au bout d’un certain temps – trois années de recherches – je me suis rendu compte que mon film manquait de quelque chose. Les adultes avaient tendance à toujours me raconter des histoires qu’ils croient «vendables» aux médias et ONG, en adoptant toujours une posture misérabiliste. Ce qui est complètement différent de ce que je voyais et vivais quand j’y étais. La réalité étant un peu plus complexe. Avec les enfants, il y avait ce grain de folie, cette innocence, cette envie de réussir, cette lumière qui me permettaient d’approcher une situation très dramatique avec légèreté. Se mettre au niveau des enfants permet d’apporter un autre regard sur une situation critique dans un espace-temps donné.
Comment avez-vous abordé la mise en scène de ce qui reste invisible dans le long métrage, de cette menace qui par exemple peut s’exprimer par le son ?
Effectivement, la présence des terroristes n’est jamais explicitement montrée, à l’exception d’une scène où on voit leurs redditions. Je voulais faire un film sur les habitants de cette région et leur résilience et non pas sur Boko Haram. Ainsi je n’ai jamais cherché à rencontrer des gens de l’organisation terroriste ni à les filmer.
Cependant, leur présence est ressentie à travers divers éléments, dont un travail plus avancé de la bande son était un élément clé. Dès le départ, j’ai voulu opposer la beauté de cet espace à la dangerosité qu’il représente avec les terroristes qui se cachent dans les montagnes. Ce qui progressivement donnait une impression d’étouffement dans cet endroit. Ce que ressentait la population. L’incertitude était accentuée par la présence des militaires qui patrouillent dans le village, armes de guerre à la main au milieu des habitants vacant à leurs occupations. Un autre point à soulever reste la psychologie des enfants qui, que ce soit à travers leurs conversations, leurs jeux, le modelage, les dessins ou leurs chants, montre combien de fois ils sont impactés par ce qui se passe autour d’eux.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Oh là, j’en ai tellement ! J’aurais un penchant pour l’un ou l’autre en fonction du sujet sur lequel je travaille et de l’approche artistique que je désire aborder. J’aime beaucoup les travaux de Djibril Diop Mambeti (Touki Bouki), Jean Pierre Bekolo dans sa décennie 1990 (Quartier Mozart, Le Complot d’Aristote) ou encore Andrei Tarkovski (Le Miroir, Le Sacrifice, Stalker) et enfin Alain Resnais (L’Année dernière à Marienbad). Pour ce documentaire, j’étais partie sur Être et Avoir de Nicolas Philibert pour aborder les séquences de l’école ; pour ensuite basculer sur Les Bêtes du Sud sauvage de Benh Zeitlin. Je m’en suis inspirée pour mettre en avant la perception de la réalité par les enfants.
Quelle est la dernière fois que vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?
A mon retour de Rotterdam, j’ai eu l’immense plaisir de regarder dans l’avion Everything, Everywhere all at Once de Dan Kwan et Daniel Scheinert. J’ai été transportée par sa créativité, les univers et thématiques explorées. A la fin, j’étais absolument dans un état émotionnel que démontre le titre du film. Mon seul regret est que je n’ai pas pu le regarder au cinéma à cause de mon agenda très serré.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 22 avril 2023. Un grand merci à Gloria Zerbinati. Source portrait.
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