Festival Visions du Réel | Critique : After Work

Du Koweït à la Corée du sud, de l’Europe aux Etats-Unis, une étude de la culture du travail au XXIe siècle.

After Work
Suède/Italie, 2023
D’Erik Gandini

Durée : 1h21

Sortie : –

Note :

LA VALEUR TRAVAIL

« Est-ce que ça vaut encore le coup de travailler ? », tel est le nom donné au débat qui accompagnait l’une des projections du documentaire After Work lors de sa projection en première mondiale au festival danois CPH:DOX. Si la question ne résume pas à elle seule l’ampleur des idées soulevées par ce film ambitieux, elle en traduit en revanche l’humour grinçant. Il n’y a a priori pas de quoi rire face au traitement inhumain des employés d’Amazon ou à la violence des propos d’Elon Musk, deux sujets parmi les nombreux abordés ici, mais le cinéaste suédois Erik Gandini possède un regard aiguisé qui extrait de ses nombreuses interviews les saillies les plus mordantes et révélatrices.

L’œil du cinéaste lui permet également de composer des plans marquants, au léger ralenti, isolant ses intervenants dans la beauté déserte de jardins italiens ou des centres commerciaux illuminés. After Work fait partie de cette famille de documentaires-mosaïques aux images fastueuses qui, sur un sujet large, vont s’attacher à une poignées d’exemples glanés autour du monde. Dans cette famille on pourrait citer le travail radical de Nikolaus Geyrhalter (Matter Out of Place et son analyse du traitement des ordures) ou le Franco-Suédois And the King Said, What a Fantastic Machine qui interroge notre rapport à l’image. Le passage d’une anecdote extrême à l’autre peut avoir l’air d’un gimmick superficiel mais plutôt que de survoler ses vrais enjeux, After Work parvient à les révéler progressivement, nous invitant d’un ton pince-sans-rire à lire entre les lignes .

De la Corée du Sud (où le ministre du travail évoque l’idée d’éteindre de force les ordinateurs des employés pour les obliger à rentrer chez eux) au Koweït (où la loi garantit un emploi à tous, quitte à ce que 20 personnes soient engagées et payés pour un même poste et un unique fauteuil), les intervenants sont aussi divers que possible. Chacun semble représenter un archétype presque trop parfait, mais c’est lorsque Gandini révèle leurs contradictions (une riche héritière qui estime venir de la méritocratie, une philosophe de l’éthique obsédée par son canapé tout confort, un consultant en entreprise qui vante les qualités de leader d’Hitler) qu’il enrichit le plus son film, collant ainsi avec un drôle de sérieux à la complexité du sujet.

Gandini évite néanmoins la posture trop facile de l’observateur-juge qui donne tort à tout le monde depuis sa tour d’ivoire. Les théories qu’il nous transmet sur l’origine religieuse de la culpabilité propre à la culture workaholic sont passionnantes, et les pistes qu’il lance pour l’avenir (telle celle d’un revenu minimum universel, la fin de la robotisation à outrance) sont envisagées avec nuances mais bienveillance. La question philosophique de la place du travail dans nos vies n’attend pas de réponse facile, mais ce tour du monde dynamique offre des perspectives intellectuellement stimulantes.

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par Gregory Coutaut

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