Critique : Le Barrage

Soudan, près du barrage de Merowe. Maher travaille dans une briqueterie traditionnelle alimentée par les eaux du Nil. Chaque soir, il s’aventure en secret dans le désert, pour bâtir une mystérieuse construction faite de boue. Alors que les Soudanais se soulèvent pour réclamer leur liberté, sa création semble prendre vie…

Le Barrage
Liban, 2022
De Ali Cherri

Durée : 1h24

Sortie : 01/03/2023

Note :

LES MONDES ENGLOUTIS

Il y a quelques mois, lors de la Biennale d’art contemporain 2022 de Venise, le cinéaste libanais Ali Cherri recevait le Lion d’argent de l’artiste le plus prometteur. Baptisée Of Men and Gods and Mud (des dieux, des hommes et de la boue), l’œuvre qu’il y présentait était un ensemble de sculptures à la fois primitives, futuristes et inquiétantes, des sortes de totems construits avec une boue puisée près d’un gigantesque barrage, dans une région du Soudan traversée par des tensions politiques. Ce tour de passe-passe artistique entre enjeux réalistes contemporains et monde magique ancestral, l’artiste le réussit à nouveau avec son premier long métrage, Le Barrage.

Le barrage qui donne son titre au film est donc à l’origine un authentique projet industriel controversé, qui a conduit au déplacement des populations locales et dont les conséquences écologiques restent inquiétantes. Il s’agit  aussi d’une entreprise plus modeste, assemblée en cachette par le protagoniste. Loin du chantier et du regard des autres, celui-ci utilise l’eau et la terre de la région pour bâtir quelque chose de bien plus mystérieux. Cela ressemble d’abord à une de ces anciennes pyramides qui existent dans la région, mais cela devient de plus en plus étrange. Moins qu’un barrage, on dirait plutôt une porte entre notre monde et une autre dimension. Une porte qui ne demanderait qu’à s’ouvrir, une blessure jamais vraiment cicatrisée.

Plus encore qu’à des portes, ce sont des ponts inattendus que semble bâtir Ali Cherri. Le barrage n’est jamais détaché de la réalité (des tags invitent à la désobéissance civile, tandis que la radio annonce des émeutes quelque part dans la région), mais sa métaphore centrale demeure puissamment énigmatique, comme si on était autant face à un film de fantômes qu’à un film politique. Avec avec son rythme alangui, sa quasi-absence de dialogues et son refus des explications trop simples, cette étrange fable est parfois bien exigeante mais elle conserve jusqu’au bout un pouvoir de fascination peu commun. Brillamment mise en scène de la première à la dernière minute et coécrite par l’expert en mystère Bertrand Bonello, voilà une inclassable révélation qui rend très curieux de la suite de la carrière de Cherri.

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par Gregory Coutaut

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