Critique : How to Save a Dead Friend

Marusya et Kimi, amoureux inséparables, passent à l’âge adulte alors que les rêves autoritaires de la Russie s’installent. En tournant l’appareil photo de Marusya sur eux-mêmes, ils capturent l’anxiété euphorique de leur jeunesse, brûlant la chandelle par les deux bouts – mais alors qu’une lumière brûle plus fort, l’autre pourrait s’éteindre à jamais.

How to Save a Dead Friend
Suède, 2022
De Marusya Syroechkovskaya

Durée : 1h43

Sortie : 28/06/2023

Note :

THE DOOM GENERATION

Les prénoms se suivent, à chaque fois de personnes jeunes : Marusya égrène les noms de ses amie.s qui se sont suicidé.es. C’est une lugubre litanie, mais comment survivre à cette « Russie de la déprime » ? Les années sont sinistrement rythmées par les apparitions télévisées de Poutine, Medvedev chante « l’incroyable puissance » de la Russie au nouvel an de 2012, les portraits de la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa sont brandis lors de manifestations tandis que les flics caillassent les participants : qu’est-ce que des jeunes gens peuvent espérer dans cet enfer ?

Marusya Syroechkovskaya, qui a fui la Russie en mars 2022, nous ouvre son journal numérique. Elle s’est filmée avec l’amour de sa vie, Kimi, une âme sœur aussi déprimée qu’elle. Le projet de How to Save a Dead Friend, dévoilé à Visions du Réel et sélectionné à l’ACID, n’était pas encore là au début du tournage et c’est aussi la force du film : ce sont des confessions adolescentes griffonnées rageusement dans un carnet, c’est une pulsion pour survivre, et Syroechkovskaya première concernée saisit quelque chose de la jeunesse, de sa profonde tristesse et du silence qui lui est imposé.

La cinéaste cite Gregg Araki et Harmony Korine parmi ses influences ; on a effectivement le sentiment que les ados de How to Save a Dead Friend appartiennent à la doom generation, ce sont des spring breakers qui auraient troqué les bikinis fluo contre des fringues plus grises dans un éternel hiver. La mélancolie est la même. La panoplie adolescente se déploie au-delà du cinéma : on écoute Joy Division et Nirvana, on est au fil des années 2000 (dont l’esthétique est déjà vintage) mais ces jeunes gens pourraient tout aussi bien vivre au début des années 90, grunge et sans espoir.

Comment survivre sans horizon dans un régime autoritaire ? En se droguant, mais aussi en filmant. Marusya Syroechkovskaya documente, et ainsi se bat. Les cheveux parfois blanchissent, raccourcissent ou tombent. On finit par se faire à tout. On contemple la vie parallèle qui n’a pas eu lieu. La jeune Marusya liste ses scarifications. Mais plus que l’autodestruction (par le suicide ou les tentatives de suicide, par l’usage de stupéfiants), la cinéaste décrit avant tout l’entreprise nationale de destruction – en premier lieu de sa jeunesse. Syroechkovskaya filme des barres d’immeubles endormies, celles-ci sont plongées dans un mauvais sommeil. Ian Curtis dans son tube le plus connu – et qui sert ici de leitmotiv – promet une triste fin. La réalisatrice signe une lettre puissante et désespérée : comment sauver un ami mort ? Comment se réveiller de ce cauchemar ?

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article