Ma vie en papier a été découvert au Festival Visions du Réel. Ce documentaire, en salles le 24 janvier, raconte à travers la parole mais aussi les dessins le quotidien et les souvenirs d’une famille syrienne qui a dû fuir son pays en guerre. L’Iranienne Vida Dena, elle-même exilée à Bruxelles, signe un portrait humain qui pose les bonnes questions. Elle est notre invitée.
Quel a été le point de départ de Ma vie en papier ?
Le point de départ est raconté dans le film : c’est ma rencontre avec Nasseem, le père de famille que l’on voit dans Ma vie en papier, lors d’un atelier d’expression par le dessin que je menais avec des primo-arrivants. Nasseem est un réfugié syrien. Je l’ai vu dessiner un tank et sur celui-ci, je remarque un drapeau iranien, mon pays… Comment réagir lorsque la géopolitique vient interférer dans les relations interpersonnelles ? Ce film raconte en effet comment on dépasse cet état de fait et comment on se rencontre dans nos humanités respectives.
Nasseem m’a ouvert rapidement la porte de sa maison et m’a présenté toute sa famille. Cela m’a donné la volonté de rendre plus visible la situation des réfugiés fuyant la guerre. Il faut se souvenir que contrairement aux Ukrainiens qui aujourd’hui bénéficient d’un accueil à la hauteur des évènements, les Syriens qui fuyaient le même genre d’horreurs étaient eux perçus comme une menace ou comme des profiteurs. Je voulais également mettre en parallèle leur situation avec mon propre parcours migratoire, d’Iran en Belgique, et la confrontation aux inévitables chocs culturels et dilemmes qu’entraine une migration.
Comment avez-vous eu l’idée d’utiliser l’animation pour représenter les souvenirs, les craintes et les rêves des protagonistes ?
Je suis aussi dessinatrice et j’ai mené plusieurs ateliers où j’utilisais déjà le dessin mis en animation pour faciliter l’expression de personnes fraichement arrivées à Bruxelles. J’ai pu remarquer à quel point c’était un médium privilégié pour exprimer ce qui est dur à dire, pour se sentir à l’aise quand on ne maitrise pas encore le français. C’était donc idéal de fonder notre échange sur le dessin avec cette famille pour raconter librement des récits d’expériences parfois très traumatiques et évoquer un quotidien compliqué. Je pense que la poésie et la naïveté du dessin permettent de rendre plus partageables ces histoires-là avec des spectateurs souvent loin de ces réalités. Sans doute plus que si les souvenirs avaient été simplement dits.
Vous avez tourné le film entre 2018 et 2020. On peut sentir les personnages grandir et mûrir. Ont-ils vu le film et quel a été leur sentiment ?
Oui, ils ont vu le film, les deux ainées ont d’ailleurs assisté à la première au Festival Visions du Réel de Nyon ! Elles sont elles-mêmes étonnées de leurs propres changements et du chemin parcouru. Au-delà de l’étrangeté de se voir à l’écran, tous les membres de la famille sont heureux qu’on évoque les gens dans leur situation d’exil et d’intégration. Je dois aussi dire que j’ai eu de la chance de tomber sur une famille aussi généreuse, qui donne beaucoup dans la vie et à l’écran, et qui accepte de partager leur intimité avec le monde.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Je dirai Pedro Costa pour sa démarche (vivre avec les protagonistes et construire le film avec eux). Abbas Kiarostami pour son entremêlement de réalité et fiction et sa poétique du quotidien. Abbas Fahdel dont le monumental Homeland Irak année zéro et la chronique de sa propre famille en temps de guerre m’a profondément marqué. Apichatpong Weerasethakul pour ses métaphores et son regard sensible sur des détails qui se révèlent pourtant centraux dans la narration.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
J’ai beaucoup aimé les deux courts métrages d’Emmanuel Marre que j’ai découverts grâce à une des monteuses du film. Ce sont deux fictions très documentaires où les acteurs non-professionnels sont libres d’interpréter à partir d’un cadre minimal. Ce qui qui permet donc improvisation et hasard. Je dois encore voir Rien à foutre, son premier long métrage qui a l’air très prometteur…
Entretien réalisé le 12 avril 2022. Un grand merci à Mirjam Wiekenkamp.
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