Montré entre autres à la Mostra ou à Busan, Anatomy of Time sort ce mercredi 4 mai en France. Ce drame revient sur deux époques dans la vie d’une femme et propose une réflexion sensible sur le temps et la mémoire. Nous avons interrogé son réalisateur, le Thaïlandais Jakrawal Nilthamrong.
Quel a été le point de départ de Anatomy of Time ?
L’inspiration d’Anatomy of Time est venue d’une histoire personnelle. Il y a plus de 10 ans, mon père est tombé gravement malade. J’ai vu ma mère s’occuper inlassablement de lui avec beaucoup de dévouement. Au cours de sa dernière année, nous faisions des aller-retours réguliers à l’hôpital. Je pense que le lien d’amour entre eux deux avait disparu depuis longtemps. Mais pour une raison quelconque, elle s’est engagée à prendre soin de son mari du mieux qu’elle le pouvait. J’ai tenté de comprendre cette endurance. Je n’ai jamais demandé quoi que ce soit à ce sujet. Mais je pense que j’ai indirectement appris d’elle à travers les tourments de sa vie. Pour moi, cette expérience m’a enseigné que la souffrance était, d’une certaine manière, un moyen de se transcender.
Anatomy of Time peut raconter des événements brutaux mais votre film est très élégant et même doux visuellement. Comment avez-vous collaboré avec votre directeur de la photographie Phuttiphong Aroonpheng sur le traitement visuel de Anatomy of Time ?
Nous avons cherché à créer des images réalistes. C’est une partie du concept du film que je voulais questionner. La nature est un personnage du film. Elle a son propre langage, ses expériences et sa conscience, que nous avons essayé de capturer. L’origine de l’arbre, la mort d’une abeille mâle après un accouplement avec la reine des abeilles, la vie dans la maison de retraite. Toutes ces métaphores représentent des lignes en pointillés ; ces dernières composent une plus grande image symbolisant ce sur quoi les personnages s’interrogent.
Comment avez-vous abordé la structure particulière de Anatomy of Time durant l’écriture du film ?
J’ai découvert l’essence du temps durant l’écriture ainsi que dans le processus de montage. Le passé, le présent et le futur sont des points de référence lorsque nous essayons d’indiquer une relation au temps. Mais en tant qu’être, nous ne pouvons faire l’expérience que du temps présent. Le passé n’est qu’une charge électrique qui se traduit en souvenirs dans le cerveau tandis que l’avenir est une imagination. Tout comme Héraclite l’a dit : « Aucun homme ne marche jamais deux fois dans la même rivière ». Et quand la mort arrive, notre expérience commune avec notre temps est terminée. C’était mon idée originale que Anatomy of Time commence par la mort et se termine par la mort. Les deux événements ne sont pas une fin. C’est tout le contraire. C’est le début d’un retour à la vie par la mémoire, car le « temps » trouve son sens dans la mort.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Je regarde des films comme tout le monde, des films d’auteur comme des films mainstream. Je pourrais passer mon temps à cela. Mon hibernation durant le covid-19 m’a permis de découvrir beaucoup de livres intéressants, essentiellement de la non-fiction. En ce qui concerne Anatomy of Time, je pense que mon film partage une tendance commune à la philosophie moderne ; que ce soit celle de Heidegger ou de Wittgenstein. Une partie du film rend également hommage à Persona d’Ingmar Bergman.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?
Pendant le temps que j’ai passé à la maison au cours des deux dernières années, il y a des livres qui m’ont amené à découvrir de nombreux autres livres tels que Quelques grammes de silence de Erling Kagge – un explorateur et philosophe norvégien, La Terre inhabitable de David Wallace-Wells et un catalogue d’exposition d’art étonnant, Broken Nature : Design Takes on Human Survival curaté par Paola Antonelli à la 22e Exposition internationale de La Triennale de Milan. Le travail de ces personnes m’inspire.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 octobre 2021. Un grand merci à Yohann Cornu.
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