Entretien avec Anita Rocha da Silveira

Dévoilé à la Quinzaine des Réalisateurs, Medusa de la Brésilienne Anita Rocha da Silveira sort ce mercredi 16 mars au cinéma. Dans Medusa, la nuit tombée, un gang de filles pieuses et obsédées par la pureté revêtent des masques pour chasser toutes celles qui dévient du droit chemin. Ce mélange de fantaisie pulp, de conte ensorceleur et de magie noire est porté par un puissant souffle politique et révolutionnaire. Anita Rocha da Silveira est notre invitée.


Dès ses premières scènes, Medusa déjoue les attentes, puisqu’on pourrait s’attendre à ce que tous ces personnages adolescents luttent contre le fascisme et l’obscurantisme. Qu’est ce qui vous a amenée à montrer l’inverse ?

Depuis 2013, il y a une montée du conservatisme au Brésil, y compris chez les jeunes. Il existe plusieurs mouvements, que je ne citerais pas pour ne pas leur faire de promotion, qui regroupent des jeunes très à droite et très charismatiques, qui produisent des vidéos avec beaucoup de moyens pour recruter de potentiels futurs membres. En 2015 j’ai lu un article sur un fait divers : un gang de filles avait agressé une autre jeune fille. Elles voulaient la punir et l’enlaidir car selon elles, elle était indécente, elle postait des photos trop dénudées sur les réseaux sociaux. Quelques mois plus tard, j’ai entendu parler d’une autre histoire très similaire, puis encore une autre. A chaque fois, les victimes et les coupables étaient des jeunes, et le plus souvent des filles. Cela m’a tout de suite évoqué le mythe de Méduse, qui fut tuée par Athéna, la déesse vierge. Dans l’une des versions du mythe, Athéna commandite même le viol de Méduse par Poséidon afin que celle-ci ne soit plus vierge, avant de la transformer en créature hideuse.

Je voulais également écrire un personnage qui soit très éloignée de moi. Dans mes courts métrages comme dans mon premier long, Mate-me por favor, je m’étais basée sur mes propres expériences et mes amis. Cette fois-ci je voulais une protagoniste qui ait grandi loin de moi, dans l’univers clos et parallèle de ces mouvements conservateurs. Je me suis donc beaucoup renseignée sur ce monde-là et sur les églises évangéliques. En 2015, beaucoup d’articles ont été publiés sur le fait que la plus célèbre de ces églises, omniprésente au Brésil et possédant des antennes partout dans le monde, venait de créer une armée de Dieu. Oui, une véritable armée, rien que ça. Filmer mes personnages comme des soldats est une idée qui m’a donc été directement inspirée par la réalité. Tout ce qui a trait aux églises dans Medusa provient directement de la réalité : tout est inspiré par d’authentiques discours de pasteurs que j’ai trouvés en ligne. Je n’ai pas eu besoin d’exagérer car cette réalité est déjà folle. J’ai même vu des vidéos tellement bizarres que je ne pouvais pas les inclure dans le film, je me disais que personne n’y croirait, même dans un tel film.

Votre film a en commun avec Divino Amor de Gabriel Mascaro d’utiliser un traitement fantastique et fantaisiste pour parler de l’influence des ces églises évangéliques. Cela correspond donc à une réalité du Brésil d’aujourd’hui ?

Oui, nous avons commencé a produire nos films à peu près au même moment, mais Gabriel Mascaro a réussi à rassembler son financement plus rapidement. Et effectivement, derrière ces traitement, la réalité est terrible. Les personnes qui ont élu ce président, dont je ne peux même pas prononcer le nom, sont issues de ces églises. Ces églises possèdent la deuxième chaîne télé du pays, où ils peuvent manipuler les informations à leur guise. Elles occupent le congrès, elle sont au pouvoir. Même le maire de Rio est un ancien pasteur évangéliste. Tout le monde s’imagine que Rio est un paradis hédoniste où on danse tout nu sur la plage, mais même si la ville demeure ouverte d’esprit, la réalité est beaucoup plus conservatrice.

Ce qui se passe en ce moment au Brésil c’est que la gauche ne sait plus parler aux jeunes, et que la droite a des années d’avance sur la question. Il y a bien un réveil qui commence à se mettre en place mais les conservateurs occupent tout l’espace médiatiques car de nombreux influenceurs et influenceuses sont de leur côté. Ils et elles font des vidéos très pop, très mignonnes, promouvant un mode de vie « pur », expliquant par exemple comment prendre un selfie de façon décente.

Le personnage de Michele est directement inspirée de ce genre de filles. Pour tout vous dire je me suis inspirée d’une influenceuse en particulier, qui est très connue au Brésil pour avoir complètement changé de bord. Elle était déjà connue pour ses propos conservateurs, elle disait souvent que le mouvement féministe était en train de gâcher le monde, et qu’elle préférait se battre pour un autre type de féminisme, c’était même sa devise. C’était une jeune fille éduquée, qui venait d’un milieu très aisé. Elle a été agressée sexuellement par un membre du congrès et lorsqu’elle a dénoncé publiquement ce dernier, toute la classe politique conservatrice l’a traitée de mythomane, de folle et d’allumeuse. Les seules à la croire et à la défendre furent… les féministes. Elle a donc viré de bord à 180 degrés, maintenant elle est très engagée à gauche !

Est-ce facile au Brésil de produire un film qui s’attaque à ces structures de pouvoirs contemporaines ?

On a eu la chance de pouvoir rassembler le financement avant les dernières élections, avant que l’autre gars ne se retrouve au pouvoir. De toute façon au Brésil, le système de financement est tel que personne ne prend la peine de lire les scénarios. Avant, du temps du gouvernement Lula, on pouvait bénéficier d’un système très favorable pour la création cinématographique. L’un des avantages de ce système était que dès qu’un film remportait du succès dans des festivals internationaux, le réalisateur ou la réalisatrice gagnait automatiquement un prix à hauteur de 300 000 euros pour son prochain film. C’est comme ça que j’ai obtenu la majorité du financement de Medusa.

Mais depuis le changement de gouvernement, tout est figé. Le système de financement n’a pas été officiellement et ouvertement démantelé, mais ils ont viré suffisamment de personnes et on rendu la bureaucratie si labyrinthique que plus rien n’avance. J’ai des amis qui étaient censés recevoir le même prix que moi au même moment, mais qui n’ont toujours rien reçu sur leurs comptes en banque. De plus, cette somme est censée arriver en trois versements et tant que le dernier n’a pas été reçu, on ne peut pas postuler pour un visa d’exploitation en salles. Or c’est exactement ce qui nous est arrivé. Nous n’avons jamais reçu le dernier versement, mais heureusement nous avons bu boucler le budget grâce à des chaines de télé et des investisseur privés.

Le film a-t-il été vu au Brésil ?

Pas encore mais il fera se première à la fin du mois dans un festival. De toute façon les Brésiliens sont encore très frileux à l’idée de retourner au cinéma, surtout dans les cinémas art et essai. Ce n’est pas une question de vaccin, c’est parce que ces lieux sont considérés comme très orientés à gauche et les gens ont peur de montrer leur engagement.

Je voulais revenir sur une scène du film en particulier, où tous les personnages féminins se mettent à hurler et courir à l’unisson. C’est une image politique galvanisante. Est-ce que vous l’aviez en tête dès le départ ?

Cela provient également du mythe de Méduse. Quand on pense à Méduse, on a tous en tête la peinture du Caravage où elle crie. D’ailleurs, dans la plupart des représentations picturales, elle est en train de hurler, que ce soit avant ou après sa décapitation. Or ce n’est jamais un cri de terreur, ça ressemble davantage à un cri de haine. J’ai beaucoup étudié la symbolique de ce cri, et cela évoque autant la rage que les femmes sont contraintes de garder en elle qu’un ressentiment hérité de plusieurs générations antérieures de femmes. C’est un cri de libération, l’expression d’une colère saine mais puissante, voilà mon inspiration pour cette scène.

Dans le film comme dans la vie, les femmes et les filles sont tout le temps incitées à se contenir, à faire bien attention à ce qu’elles expriment. C’est comme si elles devaient sans cesse performer les jeunes filles modèles. L’un des points de départ du film, c’est cette notion de contrôle. En tant que femme, on grandit en devant se contrôler en permanence : comment on parle, comment on se tient, comment on s’habille. Ne parlons même pas de sexualité ou de première fois. Nous sommes tellement habituées à cela qu’on finit parfois par contrôler les autres filles autour de nous. Si je n’ai pas l’autorisation de faire tel ou tel truc, comment une telle peut-elle s’en octroyer le droit ? Contrôler le corps des autres, c’est aussi se convaincre qu’il est possible de contrôler le sien. Je tenais à ce que les femmes du film s’unissent plutôt qu’elles restent victimes de l’ordre machiste, je tenais à cette sororité. Ce cri commun, c’est le moment où elles peuvent enfin exprimer ce qu’elles ont à l’intérieur, mais aussi ce qu’elles ont toutes en commun. Je tenais beaucoup à cette images de femmes qui courent ensemble pour fuir loin du patriarcat (rires).

C’est un film où les personnages sont presque tous féminins, qui utilisent des éléments pouvant être considérés comme très girly, mais c’est un film qui parle en filigrane des hommes et de la violence patriarcale. Est ce que c’est une formule qui vous convient ?

Ou, le film dit aussi que le machisme est présent dans la structure-même de la société. C’est pour cela que nous les femmes pouvons parfois incorporer et reproduire inconsciemment cette violence, car nous grandissons toutes dans une société sexiste. J’ai écrit les premières versions du scénario en 2015, et le film se terminait mal. C’était davantage un fin mélancolique, comme dans Mate-me por favor. Mais les temps ont très rapidement changé au Brésil depuis cette histoire de destitution. Il m’a paru indispensable de conclure le film avec une note d’espoir, de montrer que si on se serre les coudes, on peut changer les choses. Pour moi, Medusa est un film qui finit bien (rires).

La scène d’ouverture du film, avec cette danse inquiétante, est elle aussi inspirée du mythe de Méduse ?

Pas directement. J’ai envisagé cette scène comme un film dans le film. L’actrice qui joue cette scène est une amie à moi, et elle fait beaucoup de yoga. On a donc imaginé ensemble cette danse inspirée d’animaux, d’araignées plus exactement. J’avais tout de suite en tête l’image que la caméra devait partir de son œil puis dézoomer en se retournant, afin de donner l’impression que cette femme était suspendue comme une araignée. Mais l’idée principale c’était d’évoquer une sorte de possession, mais une possession consciente et charnelle à la fois. Je voulais qu’on entre dans le film aux cotés de cette femme dont la puissance n’est pas que cérébrale mais passe également par le corps

D’après vous, peut-on classer Medusa dans la catégorie des teen movies ?

Je ne sais pas, je dirais que les personnages ont plutôt l’âge de jeunes adultes, mais je vois ce que vous voulez dire. Lorsque je postulais auprès d’organismes européens pour trouver des financement, on me faisait sans exception toujours le même retour : le film a trop de genres. Est-ce un film d’horreur ? Un teen movie ? Une comédie musicale ? Un film social ? Pour moi, le film est tout cela à la fois, et c’est justement le but. Personne ne voulait nous financer et j’ai fini par écrire dans ma note d’intention que le mélange des genres était tout à fait délibéré, j’ai écrit « j’aime les mélanges » ! Si vous voulez choisir un seul genre, choisissez à ma place et inscrivez ce que vous voulez dans vos catalogues. On me dit souvent que c’est un film d’horreur et c’est vrai, mais pour moi, la véritable horreur c’est la situation actuelle au Brésil.

Je pense que ça ne surprendra personne si je dis que je suis fan de David Lynch. Ce que j’adore dans ses films, c’est que ce sont de véritables films d’horreur mais qu’il y a tout le temps de la place pour quelque chose de drôle ou d’incongru. Cela m’inspire énormément.

Quelles étaient vos référence pour le traitement visuel du film ?

Ma plus grande référence pour Medusa c’est bien sûr Suspiria de Dario Argento. Certains de mes personnages portent les mêmes noms que des personnages de Suspiria, et j’ai même repris certains dialogues tels quels. J’avais déjà travaillé avec le même chef-opérateur, João Atala, sur mes précédents films. Pour Mate-me por favor, nous n’avions pas cherché à créer directement les couleurs sur le plateau, nous nous étions contenté de les rajouter en post-prod, et c’est une manière de faire que nous avions regrettée, comme si nous avions joué petit bras. Pour Medusa, nous nous sommes imposés de travailler les couleurs directement au tournage. Le vert de la nature et des serpents, et le rouge du sang, voilà la base de notre palette. Il était donc normal que nos références visuelles viennent des années 70 qui utilisaient cette technique, ou bien des films contemporains qui rendent hommage à cette période.

Par exemple, j’ai été très influencée par Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez, que j’ai découvert dans un festival au Brésil. Je me suis également inspiré de l’art du cadrage de Claire Denis : pour filmer l’armée de garçons, je me suis directement inspirée de Beau travail. Je regarde beaucoup de cinéma français. Je pourrais parler des mes influences cinéphiles pendant des heures, c’est rare que les gens me posent cette question, en générale on ne me pose que des questions politiques.

En ce qui concerne la musique, vos références provenaient également de la même famille de films ?

Oui, même s’il y a plusieurs types de musiques dans le film. Bernardo Uzeda, le compositeur, est fan de John Carpenter, Goblin et Tangerine Dream. Comme il a signé beaucoup de morceaux dans le film, cela s’entend forcément. Quant aux chansons du groupe d’évangélistes, ce sont de variations de chansons déjà connues, car je voulais que les spectateurs les trouvent étrangement familières. La chanson principale est inspirée d’un tube pop brésilien, et une autre de House of the Rising Sun, ce que je trouvais délicieusement ironique puisqu’il s’agit d’une chanson sur une maison close (rires).

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 12 octobre 2021. Merci à Gloria Zerbinati.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

Partagez cet article