Festival de Locarno | Entretien avec Audrie Yeo Sui Luan

A l’honneur lors du dernier Festival de Locarno, Posterity est réalisé par la Malaisienne Audrie Yeo Sui Luan. Cet étonnant court métrage, gracieux et d’une grande douceur, raconte l’histoire d’une jeune fille qui découvre un oiseau mort. Cette découverte va ouvrir des portes spirituelles inattendues… Audrie Yeo Sui Luan est notre invitée de ce Lundi Découverte.


Quel a été le point de départ de Posterity ?

J’ai réalisé Posterity après un hiatus de 5 ans. J’ai pris le temps de réfléchir sur moi-même et vers 2019, un incident qui a déclenché l’idée du court métrage. J’ai vu des enfants en bas de chez moi qui ont découvert un chaton mort et que j’observais leur comportement. Je suis allée leur parler et j’ai tout de suite remarqué leur innocence. Leurs intentions étaient dictées par leur conscience. Ils ont pris la décision d’enterrer le chaton et je les ai encouragés à le faire mais tout à coup, une femme, du haut de son appartement, a commencé à crier et à gronder les enfants, en leur interdisant de faire ce qu’ils voulaient faire.

Elle craignait que cela empeste, que le gardien ne puisse pas trouver le cadavre pour s’en occuper. Elle a commencé à menacer les enfants (moi y compris, LOL) et ils ont dû arrêter. J’ai vu la confusion et la peur dans leurs yeux, et j’ai su qu’à cet instant précis ils avaient perdu une part de leur innocence. C’était un moment assez triste. J’ai commencé à penser à ces femmes âgées, comme cette voisine, et à leur manque de sensibilité. Cela m’a plongée dans une réflexion, sur cette manière d’être que beaucoup d’entre nous pouvons avoir. Nous avons été élevé.e.s ainsi, avec des traumatismes enfantins qui laissent une trace indélébile une fois adulte. Il faut faire preuve de plus de sensibilité, particulièrement vis-à-vis des enfants.

Cela m’a poussée à me plonger plus profondément dans des sujets comme l’obéissance aveugle et le trauma intergénérationnel, et m’attacher aux questions que pose l’interaction entre ces trois générations de femmes.

Le point de vue de la jeune fille sur la spiritualité semble en effet très différent de celui de sa mère. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce conflit, qui est peut-être un conflit de générations ?

Je pense que c’est tout à fait relié à ce que nous venons d’évoquer. Le conflit vient d’un manque de sensibilité, de compassion et d’empathie. Nous sommes toutes et tous né.e.s avec ces valeurs, c’est en nous et cela demande à être nourri. Sinon, cela disparaît et il ne reste alors qu’un monde sans chaleur humaine.

Posterity est d’une grande douceur visuellement. Comment avez-vous envisagé la mise en scène de cette histoire ?

Étant originaire d’Asie du Sud-Est, c’est quelque chose que je voulais refléter. C’est une manière de rester fidèle à mes racines. Les films d’Asie du sud-est ont été une grande source d’inspiration en termes de style visuel. Et puis le film a également été conditionné par nos moyens limités. Il est souvent très difficile de trouver des financements. Certains de nos voisins d’Asie du Sud-Est n’ont même pas de financement national à proprement parler.

J’ai eux la chance de toucher une subvention de l’office national de mon pays, la Malaisie. Cela restait assez modeste et j’ai dû être aidée par des amis pour achever le film. Aucun homme n’est une île ! Mais avoir des limites, ce n’est pas forcément un désavantage. Cela peut pousser un cinéaste à être plus créatif. A penser à des moyens plus simples de raconter une histoire tout en privilégiant sa magie. Dans une première version du script, nous avions recours à l’animation – mais de manière réaliste, le budget n’était pas suffisant donc nous avons modifié cela. Je suis très heureuse d’être parvenue à trouver une solution à ces problèmes.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

C’est une question difficile ! Il y a tellement de cinéastes qui m’inspirent d’une manière ou d’une autre. Comme vous ne m’avez pas imposé de limite, je vais en citer un certain nombre : Hirokazu Kore-eda, Apichatpong Weerasethakul, Mike Leigh, Roy Andersson, Aki Kaurismaki, Zhang Yi Mao, Jean-Pierre Jeunet, Céline Sciamma, Amanda Nell Eu (lire notre entretien), Liew Seng Tat, Sorayos Prapapan, Pham Ngoc Lan… Et la liste pourrait continuer. J’admire tous ces cinéastes et leurs styles particuliers, ils sont tous différents et m’inspirent beaucoup.

Quel est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, de voir quelque chose de neuf ?

Parfois, un nouveau talent peut être un maître du cinéma dont je n’ai pas eu la chance de voir les films jusqu’ici. La dernière fois, c’était récemment au Festival de Locarno où j’ai pu regarder des œuvres de cinéastes d’autres parties du monde. Certaines de leurs œuvres sont très intéressantes et inspirantes. Je suis reconnaissante de la mise en place du programme Open Doors qui s’est concentré sur l’Asie du Sud-Est et la Mongolie durant trois ans. C’est grâce à ce programme que j’ai eu l’occasion d’assister au festival, de réseauter avec d’autres cinéastes de la région ainsi que d’autres parties du monde, et juste profiter de la liberté et du sentiment particulier qu’on a à regarder à nouveau un film dans des salles de cinéma, surtout en cette période très éprouvante de pandémie.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 15 août 2021.

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