Chéries-Chéris, le festival LGBTQI et +++ de Paris, débute ce samedi 16 novembre ! Il sera à suivre en direct sur Le Polyester. Son délégué général et programmateur, Grégory Tilhac, détaille pour nous le menu très alléchant de cette 25e édition.
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Si la visibilité progresse, les violences vis-à-vis des personnes LGBTQI progressent aussi. En quoi est-il important d’avoir un festival comme Chéries Chéris, qui permet à la communauté de se retrouver ?
Des progrès ont été accomplis dans la société en matière de droits pour les personnes LGBT, mais les discriminations et les violences persistent, et la représentation n’est toujours pas suffisante dans les médias. Notre festival est avant tout un événement cinéphile, un moment de célébration de la formidable profusion et de la grande diversité et créativité du cinéma LGBTQI. Mais notre mission est aussi d’honorer et de célébrer l’idée qu’il puisse exister une culture LGBTQI et en être fier. En France nous sommes très frileux avec cette idée, hantés par le spectre du communautarisme à l’anglo-saxonne et habités par la notion d’ « inclusion », maître mot de l’égalité républicaine. Mais il est essentiel que les personnes LGBTQI se retrouvent aussi entre elles pour réfléchir aux enjeux qui les concernent et qui sont déjà suffisamment nombreux si l’on cherche à conjuguer toutes les tendances du sigle LGBTQI +++.
Cela ne veut pas dire que nous rejetons les spectateurs curieux qui ne seraient pas directement concernés, bien au contraire, mais nous ne pouvons pas remettre au centre de nos préoccupations celles de la majorité. Depuis maintenant 25 ans, le festival Chéries-Chéris donne une visibilité, un écho à toutes les luttes pour la dignité et la fierté qu’elles soient individuelles ou collectives, et constitue un moment essentiel de ralliement, de présentation, de représentation des acteurs de ce combat.
On remarque une forte présence brésilienne dans la sélection, et ce dans tous les formats. Est-ce que cela révèle quelque chose du climat politique du pays à vos yeux ?
En effet, on constate la qualité exceptionnelle des films en provenance du Brésil, et plus globalement de l’Amérique latine : Argentine, Chili, Pérou, Guatemala… On s’en réjouit, car le cinéma brésilien a connu un petit passage à vide il y a quelques années. Parmi les 13 œuvres brésiliennes en sélection, on trouve notamment Socrates, œuvre coup de poing co-écrite et interprétée par des jeunes défavorisés issus des favelas, le documentaire bouleversant Maria Luiza sur la première personne ouvertement transgenre de l’histoire des forces armées brésiliennes, ou encore Indianara, le portrait choc d’une figure politique majeure de la lutte des droits LGBTQI, Indianara Siqueira, qui ne cesse de dénoncer publiquement les violences contre la communauté trans dans son pays.
Toutes ces œuvres offrent une vision sans concession sur la société brésilienne : sa brutalité, sa pauvreté, ses injustices, ses contradictions, mais aussi sa formidable énergie, sa joie exubérante, sa vitalité irrépressible. Et elles témoignent surtout d’une authenticité sans fard et d’un esprit de lutte qui méritent d’être salués dans un contexte particulièrement LGBTphobe depuis l’avènement du Président Bolsonaro.
Des films comme Normal ou Yours in Sisterhood questionnent les normes de genre sans que les thématiques LGBTQI soient nécessairement centrales. En quoi sélectionner ces deux documentaires était-il important pour vous dans le cadre d’un festival LGBTQI ?
Nous avons fait en sorte de représenter dans la programmation toute la diversité qui fait la richesse de la communauté LGBTQI. Pour certaines œuvres, en effet, l’orientation sexuelle ne trace pas tout l’enjeu du film. Si continuer à distinguer le cinéma LGBTQI dans le vaste monde du cinéma reste une nécessité dans la lutte pour l’égalité des droits et l’évolution des mentalités, inclure ce type de représentations nous permet aussi d’avancer vers un cinéma « nouveau » où l’orientation sexuelle n’est pas systématiquement au centre des interactions.
Normal examine les rôles de genre définis de manière rigide et la soumission non critique aux diktats de la (hétéro)normativité. Il invite le public à interroger et à démêler l’idée même de « normalité ». Quant à Yours in Sisterhood, les enjeux y sont intersectionnels, intimes et politiques. Ces deux documentaires sont pour nous deux gros coups de cœur, car ils mêlent intelligence du propos et ambition formelle.
L’une des particularités de cette édition est le Weekend Before, consacré aux docus militants. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce programme ?
La force du documentaire est qu’il permet de plonger au cœur de nos luttes et de rencontrer leurs acteur.rice.s. Dresser l’inventaire des documentaires LGBT+ en France et à l’étranger, c’est parcourir l’histoire de nos mouvements et sentir le poids de leurs répercussions politiques. C’est aussi s’émerveiller de la pluralité du genre et de sa capacité à se réinventer. La richesse de la production documentaire LGBTQI et la volonté de rendre bien visibles les militant.e.s motivent ce Weekend Before du festival. Les films au programme sont l’opportunité d’aborder des sujets d’actualité brûlante, les enjeux des combats d’aujourd’hui : féminisme, intersectionnalité, accueil des réfugiés, homoparentalité par la PMA ou la GPA, lutte contre homophobie, nouveaux outils de prévention contre le sida (PrEP), avancées en matière de reconnaissance de la transidentité…
Dans la programmation, on trouve des films-évènements comme ceux d’Océan (Océan, son formidable autoportrait), Emilie Jouvet (Mon enfant, ma bataille), Rémi Lange (Prouve que tu es gay), ou encore La Pride, sur la Marche des fiertés en banlieue et Mon nom est clitoris, un documentaire sans langue de bois traitant la sexualité féminine… Parce que Chéries-Chéris se construit avant tout par les spectateur.rice.s, nous les invitons d’ailleurs à venir se faire entendre lors des débats prévus à l’issue de chaque séance, tout au long d’un Weekend qui s’annonce passionnant.
Quels sont vos objectifs pour cette édition anniversaire ?
Chéries Chéris est un rendez-vous qui chaque année grandit, grâce à l’investissement offert par chacun de nos volontaires, mais aussi grâce à la confiance de nos partenaires publics et privés, à la générosité de nos prestataires et à la fidélité de MK2. Je tiens vraiment à les remercier. Notre objectif en cette 25e anniversaire est plus que jamais de trouver l’équilibre entre cinéphilie, engagement, convivialité et plaisirs partagés. Et bien entendu que le Festival soit un grand succès public avec des salles bien pleines !
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 novembre 2019.
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