Strange Creatures est un court métrage qui parvient à être adorable tout en provoquant un certain malaise, et qui est à la fois enfantin et très étrange. Voilà un très séduisant mélange de sensations ! On avait découvert le Chilien Cristóbal León avec le fascinant long métrage La Casa lobo, qui figurait dans notre top des meilleurs inédits de 2018. Il collabore ici avec la Vénézuélienne Cristina Sitja sur Strange Creatures, une fable sur la destruction environnementale dans laquelle des animaux perdent leur logis. C’est l’un des temps forts de ce FID Marseille, et les deux cinéastes sont nos invités de ce Lundi Découverte.
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Quel a été le point de départ de Strange Creatures ?
Cristina : Strange Creatures est basé sur le livre pour enfants Étranges Créatures, qui a été publié aux Editions Notari en Suisse. J’ai illustré ce livre en 2013 et écrit le texte avec Cristóbal une fois les images faites. Le livre a été créé d’après un rêve que j’ai fait où des animaux construisaient une forêt artificielle en utilisant des choses que les humains jettent tous les jours. A partir de cette image, l’histoire s’est développée. La destruction de l’habitat des animaux causée par le développement urbain est une chose qui m’a toujours préoccupée. J’ai ressenti le besoin de faire un livre pour communiquer aux enfants et aux parents que même si l’avenir du monde semble un peu sombre, il y a encore de la place pour l’espoir. J’espère que le film fera de même.
Cristóbal : Pour définir l’esthétique du film, nous nous sommes inspirés de différentes sources. Nous voulions que le court métrage ait l’air de venir d’une période indéterminée. Il a un côté celluloïd peint rappelant un cinéma ancien tandis que le son comporte des éléments venant de vieilles cassettes ou de la technique dite du mickeymousing, qui est la façon dont le son a été fait pour des animations dans les années 30 et 40, et où le bruitage passe essentiellement par des instruments de musique.
Visuellement, votre film est à la fois très beau et très surprenant. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la technique d’animation que vous avez choisie pour cette histoire ?
Cristina : La première idée était de l’animer au fusain, mais quelques mois avant que nous commencions à tourner, Cristobal m’a envoyé une nouvelle proposition qui était assez belle et étrange. L’idée était que le film serait esthétiquement très différent du livre, mais ne renoncerait ni à la façon dont nous travaillons ni à nos styles particuliers.
Cristóbal : J’avais déjà utilisé une technique similaire dans certaines autres œuvres. La technique consiste à filmer, à monter le film, puis à imprimer chaque image de celui-ci. Nous avons utilisé une imprimante maison simple et nous avons imprimé 9 images par page de sorte que les images soient très petites. Nous aimons la texture que cela produit et comment les images deviennent plus abstraites. Nous avons utilisé des marqueurs et d’autres crayons sur ces différents cadres. Normalement, cette technique est très bonne pour faire une sorte de rotoscopie, mais dans ce cas, nous l’avons utilisée pour colorer le court métrage, de la même manière que les pionniers du cinéma l’utilisaient pour colorer les films. L’utilisation de cette technique nous a permis d’aborder le projet avec un regard neuf, sans trop penser aux belles illustrations que Cristina avait faites pour le livre. Nous avons aimé ce sentiment de cinéma ancien, et ce mélange d’un monde physique et d’un monde illustré.
Strange Creatures est adorable tout en provoquant un certain malaise, il est enfantin et étrange… Comment avez-vous abordé ces différentes tonalités ?
Cristina : Peut-être que mon expérience dans l’illustration de livres pour enfants a rendu cet équilibre plus facile. Mais je ne suis pas sûre. C’est quelque chose qui apparaît assez souvent dans mon travail. Et de toute évidence, travailler avec l’imagerie de Cristóbal a rendu cela encore plus évident.
Cristóbal : Comme le dit Cristina, c’est quelque chose qui est très présent dans son travail et aussi dans le mien. Ce mélange de tendresse et d’obscurité est probablement un point commun et quelque chose qui nous pousse à travailler ensemble. C’est quelque chose qui est également présent dans les contes de fées traditionnels. De tendres enfants qui sont abandonnés par leurs parents au milieu de la forêt. Je me souviens, étant gosse, j’aimais les cassettes avec des contes de fées : ils me faisaient peur, parfois j’en pleurais, mais je voulais les entendre encore et encore.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
Cristina : J’ai grandi au Venezuela en regardant des courts métrages d’animation polonais et tchèques des années 70, dans lesquels les personnages ne parlaient pas et ne produisaient que des sons. J’ai du mal à penser à un réalisateur préféré, mais voilà mes images en mouvement préférées.
Cristóbal : C’est une question difficile car je regrette toujours d’oublier quelqu’un. Je vais essayer en vous citant David Lynch, Jan Svankmajer, Iouri Norstein, Alejandro Jodorowsky. Et d’autres artistes comme Violeta Parra, Armando Reverón, Nicanor Parra, Roberto Bolaño, Fischli & Weiss, Francis Bacon et bien d’autres.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Cristina : Il y a un an, j’ai découvert le travail de l’artiste suédoise Natalie Djuberg dans une galerie à Berlin, et j’ai été impressionnée par ses courts métrages d’animation en pâte à modeler.
Cristóbal : J’ai adoré le roman graphique Moi, ce que j’aime, c’est les monstres de l’Américaine Emil Ferris. C’est l’un des meilleurs livres que j’ai lus.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 13 juillet 2019. Un grand merci à Gloria Zerbinati.
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