Douces ou rudes, blondes ou rasées, cis ou trans, détenues de longue durée ou nouvellement admises, des femmes rejouent leur vie dans une prison de Buenos Aires.
Prisonnières
Argentine, 2024
De Lola Arias
Durée : 1h22
Sortie : –
Note :
QUAND TU DANSES ÇA VA
On découvre Yoseli au moment où elle arrive en prison, mais son calme étonne. Si Prisonnières (Reas) est un documentaire, comment se fait-il que rien n’y ait l’air particulièrement réaliste ? Cela est-il dû au silence inattendu qui règne sur les lieux ou bien les couleurs vives qui détonnent un peu partout ? La réponse ne tarde pas à s’éclaircir. En réalité personne n’est en prison ici. Toutes les personnes que l’on voit à l’écran, y compris les matonnes placides, sont en réalité d’anciennes détenues qui viennent ici rejouer leur histoire devant la caméra. La réalisatrice Lola Arias a rassemblé ces femmes de profils différents dans un ancien pénitencier abandonné en voie de démolition. Leur but : se raconter, avant que les ruines et l’oubli ne prennent le pas.
La prison de Prisonnières est donc réinvestie comme un théâtre. Une toile tendue y évoque le ciel bleu de l’extérieur, et le règles de la chronologie n’y ont plus court. Après avoir rejoué son premier jour, Yoseli met en scène son arrestation préalable, puis sa rencontre amoureuse avec Nacho, un homme trans également détenu dans cette prison pour femmes. On peut tout faire dans ce vrai-faux pénitencier : organiser un concert punk, un goûter d’enfant, une beach party ou une battle de voguing. On peut même s’y marier. Devant la caméra de Lola Arias, on peut également tout faire : les héroïnes de ce documentaire se racontent à la première personne, mais à leur manière. Outre les reconstitution scéniques, cela passe aussi beaucoup par la danse et le chant. En effet, Prisonnières est à la fois un documentaire et une comédie musicale, un mélange qui ne court pas les rues.
Même quand les histoires contées demeurent dures, il y a beaucoup de douceur dans ces jeux de mise en scène. Un côté parfois presque pastel et inoffensif, qui vient peut-être de la simplicité modeste du procédé ou de la naïveté de certains rêves exprimés. Quelque chose de plus profond se construit néanmoins progressivement. La plupart des vécus racontés à l’écran sont des vécus queer. Les corps désobéissant aux normes de genres ou de beauté y sont fièrement exhibés jusque dans leurs tatouages. Pour ces détenu.e.s à qui la liberté de parole à longtemps été confisquée, ces corps deviennent des moyens d’expression, dont les danses collectives sont le climax éloquent du film.
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par Gregory Coutaut