Remarqué avec Playing Men, le Slovène Matjaž Ivanišin revient avec un nouvel étrange film intitulé Oroslan. Personnage principal du long métrage, Oroslan est mort et n’apparaît jamais à l’écran. Dans une campagne isolée, Ivanišin filme son absence, écoute les souvenirs des villageois… Le résultat est mystérieux, ambitieux, et d’une beauté âpre. Matjaž Ivanišin figure dans la compétition Cinéaste du présent au Festival de Locarno, et nous l’avons rencontré.
—
Quel a été le point de départ de Oroslan ?
Le point de départ du film est une nouvelle écrite par Zdravko Duša que j’ai lue il y a quelques années. Je me souviens que ce texte m’avait profondément touché. De temps en temps, la nouvelle me revenait et je la relisais. Après l’avoir lue à nouveau, j’ai eu le sentiment que l’histoire parlait indirectement, en quelque sorte, de quelqu’un de ma famille. Le sujet de l’histoire est progressivement devenu de plus en plus personnel et à un moment donné, j’ai tout simplement pensé que j’allais en faire un film.
Certaines scènes sont à peine dialoguées, d’autres au contraire sont basées sur de longs monologues. Comment avez-vous envisagé cette structure particulière, et qu’est-ce que ces variations radicales apportent au film à vos yeux ?
Mon idée était de raconter l’histoire d’un homme que nous ne voyons jamais dans le film puisqu’il meurt au début de celui-ci. Le film est composé de trois parties. Dans la première, nous voyons le jour où Oroslan meurt, ainsi que les actions des villageois qui suivent cette mort. Dans la deuxième partie, le temps permet une distance, la mort d’Oroslan et les actions des villageois deviennent des mots, et les mots deviennent l’histoire que raconte le frère d’Oroslan. Dans la troisième partie, nous en apprenons davantage sur la vie d’Oroslan à travers un certain nombre d’histoires racontées par les autres villageois. Ainsi, Oroslan continue à vivre à travers les souvenirs des autres.
L’humour jouait un certain rôle dans votre précédent film Playing Men. C’est moins évident ici mais il reste présent d’une certaine manière à travers une forme d’absurdité. En tant que réalisateur, quelle place souhaitiez-vous donner à cette absurdité ?
J’essaie de parler des choses de la façon dont je les perçois et les ressens. J’essaie de trouver une forme appropriée et le ton narratif qui correspond pour chaque histoire que je veux raconter à travers le film. Si certains éléments, comme vous l’avez dit, se répètent dans mes films, c’est certainement car ces films sont assez personnels et je crois qu’ils dévoilent une part de moi en tant qu’auteur. Je suis conscient de la subjectivité de mon point de vue. Il ne s’agit pas de décider consciemment à l’avance de l’utilisation d’un élément absurde, mais j’aime donner de l’espace à l’absurdité dans mon travail si celle-ci correspond à une idée ou un procédé. C’est dans mes habitudes, je suppose.
Vos films peuvent être classés comme des documentaires, et pourtant votre mise en scène crée une atmosphère étrange et mystérieuse. C’est presque comme si, tout en se concentrant sur les choses concrètes de tous les jours, vous essayiez de filmer et de capturer quelque chose d’abstrait qui est tout à fait là. Cette formule vous semble-t-elle correcte ?
Tout à fait. C’est l’élément poétique. La réalité est trop complexe pour la traduire précisément ou la représenter dans toute sa diversité dans un film. J’essaie donc de réduire les choses, de séparer, de souligner, d’isoler certains éléments afin qu’ensemble, ils finissent par dire quelque chose sur la nature humaine. J’ai besoin de choses très concrètes pour cela ; le film est un médium très concret. Tous mes films sont des tentatives de capturer quelque chose d’abstrait, et en même temps ils sont archétypaux en utilisant des images de tous les jours. Il pourrait y avoir un fragment d’absurde en cela, pour revenir à votre question précédente.
Quels sont vos cinéastes favoris et/ou ceux qui vous inspirent ?
C’est difficile de parler de mes préférés. Ils ne cessent de changer au fur et à mesure que je traverse différentes périodes de la vie. Mais je peux mentionner quelques auteurs qui ne cessent de m’inspirer et je ne dirai rien de nouveau ici. Ozu, Bresson, Kiarostami, Dumont, pour n’en nommer que quelques-uns.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Récemment, la plupart des choses nouvelles et originales que j’ai apprises sont venues d’anciens maîtres du cinéma. Mais si nous parlons d’ici et maintenant, je voudrais attirer votre attention sur les jeunes auteurs venant des régions de l’ex-Yougoslavie.
Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 12 août 2019. Un grand merci à Gloria Zerbinati.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |