Locarno 2019 | Critique : Oroslan

Quand Oroslan meurt, la nouvelle provoque douleur et émotion. En partageant les souvenirs qu’ils ont de lui, les villageois recréent son image.

Oroslan
Slovénie, 2019
De Matjaž Ivanišin

Durée : 1h12

Sortie : –

Note :

LA MORT EN CE JARDIN

Il y a deux ans, le cinéaste slovène Matjaž Ivanišin (lire notre entretien) présentait au Festival Entrevues Belfort Playing Men, un drôle d’objet documentaire. Accumulant différents lieux, cultures et situations pour mieux filmer l’universelle absurdité des normes de masculinité, c’est comme si Ivanišin cherchait à filmer quelque chose d’abstrait, qui crevait les yeux tout en n’étant jamais vraiment palpable pour de bon. Dans son nouveau film (fiction ? documentaire ? peu importe), le lieu est unique et resserré : un minuscule village perdu dans la campagne slovène. Là encore, c’est comme si la caméra avait le pouvoir de se glisser dans de mystérieux interstices.

On ne le devine pas tout de suite, mais dans ces paysages figés par le silence, lourds d’une brume glacée, la mort vient de passer. Un homme nommé Oroslan, que nous ne verrons jamais, vient de décéder. La vie alentours, elle, continue. Contemplation, absence quasi-totale de dialogue : Ivanišin laisse toute la place à l’invisible. Or il y a un mystère qui gronde dans sa mise en scène. Il y a quelque chose de géant tapi dans ses compositions particulièrement habitées, à la beauté triste et âpre.

Les gaillards de Playing Men se livraient à des comédies viriles plus saugrenues les unes que les autres. Cette fois-ci c’est le film lui-même qui semble prendre la forme d’un jeu. D’abord suggérée uniquement par ses images, la vie d’Oroslan se retrouve soudain racontée par des vagues de mots : le recueillement muet est bousculé par une blague de comptoir racontée par son frère, qui se transforme en récit tragique, puis un plan-séquence au monologue homérique. Des tels virages formels, Ivanišin en a d’autres sous le coude.

Divisible en plusieurs blocs, Oroslan change à plusieurs reprise d’approche formelle. C’est comme si, à chaque case de ce jeu de l’oie, les codes narratifs et cinématographiques changeaient, floutant chaque fois davantage la frontière entre documentaire et fiction. A chaque nouveau filtre, la parole, d’abord absente, se fait de plus en plus collective. Ce simple récit d’une vie humaine prend alors des proportions inattendues et émouvantes, elle devient presque une légende: l’histoire secrète d’une région entière.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Gregory Coutaut

Partagez cet article