Dans son très beau Talking to the River, sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes, la Chinoise Yue Pan raconte le quotidien d’un jeune garçon placé chez ses grands parents dans un village rural. Entre rêveries enfantines, ennui estival et crises de somnambulisme, le film dessine avec une grâce mystérieuse les contours d’un portrait familial. De manière spectaculaire, la nature chez Yue Pan exprime autant de sentiments, si ce n’est plus, que les humains. La cinéaste nous présente son film qui compte parmi les meilleurs de cette sélection de courts à la Quinzaine.
Quel a été le point de départ de Talking to the River ?
L’inspiration initiale pour ce film m’est venue de l’époque où j’accompagnais mon grand-père voir son médecin dans ma ville natale. À l’époque, mon grand-père avait de l’eau dans les poumons avec une ombre non identifiée, mais il refusait d’aller à l’hôpital. Lorsque j’ai commencé à m’inquiéter pour sa maladie, c’était comme si la nature autour de moi s’était mise à refléter ce que j’avais dans le cœur, encore et encore : les collines étaient aussi hautes que le ciel et la rivière était pleine de plantes d’eau vert foncé. Ce sentiment d’appartenance entre un être humain et la nature, et ce dialogue avec la nature, ne peuvent se produire à mon sens que dans un village. Sur cette base, je désirais créer un film qui soit une fusion infinie de l’esprit et de l’émotion, racontant un dilemme autant par l’image que par le son.
Les quatre éléments, le feu, l’eau, la terre et l’air, jouent un rôle important dans l’atmosphère de votre film. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cet aspect ?
Le feu et l’eau sont deux éléments visuels très importants de mon film. Il y a toute cette imagerie du feu qui peut détruire les choses, qui est l’expression de la colère de Kai ; et puis il y a l’eau qui coule et qui s’étend, comme la beauté de la nature ou l’amour tendre des grands-parents qui viendrait éteindre le feu dans le cœur de Kai. De même, en ce qui concerne la ligne narrative, la météo et la nature sont très importantes pour définir l’atmosphère. Je souligne intentionnellement la chaleur torride de l’été comme le feu dans la majeure partie du film. Et dans le point culminant final, une forte pluie vient changer la direction de l’histoire.
En ce qui concerne plus particulièrement l’air et la terre, ça n’était pas une utilisation délibérée : ce sont des éléments qui appartiennent simplement à la nature.
Comment avez-vous envisagé l’écriture de ce portrait de famille où les éléments dramatiques sont aussi minimalistes ?
Talking to the River est un court métrage, mais il est composé de 38 scènes ce qui est beaucoup. La trame générale présente des rebondissements dramatiques, mais ce sont les « petites » scènes qui reflètent encore davantage l’état d’esprit des personnages, des moments parfois sans dialogue. Lorsque la grand-mère sorcière vient chez Kai pour appeler son âme, davantage d’aspects de la vie sont montrés. Je veux que le public ressente par lui-même et se questionne : l’enfant somnambule va-t-il bien ou non? La douleur en lui a-t-elle été soulagée ?
Qui sont vos cinéastes de predilection et/ou qui vous inspirent ?
Mes cinéastes préférés sont Lou Ye, Lee Chang-dong et les frères Dardenne. J’adore les personnages remplis de vie et les plans libres et naturels dans leurs films. Je suis passionnée par ce qui constitue la vie réelle et je m’intéresse beaucoup aux personnes marginalisées. Dans mes films, même s’il y a des éléments de dramatisation et de stylisation, le réalisme est toujours à la base. Présenter des personnages avec un sens de la réalité, c’est le principe sur lequel je me repose. A partir de là, j’espère trouver un langage audiovisuel unique pour chaque histoire.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?
Récemment j’ai trouvé beaucoup de choses intéressantes du côté des jeux vidéos, de l’animation et des clips musicaux, où l’on peut ressentir moins de limites en termes de narration ou de technique. La place accordée à l’imaginaire y est très grande.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 20 mai 2023. Un grand merci à Jean-Charles Canu.
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