Le Chinois Yang Heng est l’auteur d’un des chocs esthétiques de ces dernières années. Son film, intitulé Ghost in the Mountains, a été sélectionné à la Berlinale et figure cette semaine au programme du Transilvania Film Festival. Ghost in the Mountains propose un fascinant voyage mystique dans une région de Chine entre ciel et terre et où un mystérieux cadavre est retrouvé… Nous avons rencontré le cinéaste qui est assurément un nom à suivre.
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Quel a été le point de départ de Ghost in the Mountains ?
Mon précédent film, Lake August, a été tourné dans une région de lacs. Une fois ce projet terminé, j’ai pensé à tourner dans les montagnes. Mon idée initiale était de réaliser un road movie, en évitant d’en faire quelque chose de trop cheesy. J’avais en tête l’image d’un homme d’âge mûr marchant sur une route de montagne. Ces pensées combinées ont constitué la base du script de Ghost in the Mountains.
Votre film est absolument stupéfiant visuellement. Comme avez-vous abordé le travail de mise en scène sur Ghost in the Mountains ? Comment avez-vous collaboré avec votre directeur de la photographie ? Aviez-vous des références en tête ?
Je suis très sensible aux peintures classiques de paysages chinois. Ces artistes anciens s’attachaient particulièrement à décrire le ciel, la terre, la montagne et l’eau dans leur peinture, et les gens n’étaient qu’une part de ce monde – pas le centre. A mes yeux c’est un point de vue très intéressant pour observer le monde. Cela témoigne non seulement d’un respect vis-à-vis de la nature, mais c’est aussi un moyen pour les artistes d’exprimer leurs sentiments. C’est de manière naturelle que cette méthode est devenue la mienne.
Dans ce type d’espace, l’environnement extérieur est relié au monde intérieur des humains. Il y a là bien plus à voir pour le public – l’eau ondoyante, le vent dans les feuilles d’arbres, les subtils changements de lumière. In fine, j’espérais que le public ressentirait aussi le passage du temps. Pour moi, le meilleur outil pour ce style visuel, ce sont de longues et lentes prises. L’utilisation de panoramiques et de plans longs dans la composition des images permet d’immerger le public dans cette relation entre l’espace et l’homme. C’est en cela que Ghost in the Mountains diffère avec d’autres films, où l’on se concentre avant tout sur les personnages. Dans ce film, l’acteur le plus important est le décor.
Généralement nous parlions brièvement avec mon directeur de la photographie Lyu Songye avant chaque prise. Je lui expliquais le type de plan que je souhaitais avoir. Puis, après les répétitions des acteurs sur les lieux de tournage, Songye me faisait part de quelques conseils techniques et nous déterminions la vitesse de mouvement et le chemin suivi par les caméras. Nous avons procédé ainsi pour chaque scène.
Plus que les films, ce sont les peintures et les philosophies chinoises qui ont eu le plus d’influence sur moi et sur le style visuel du long métrage. Par exemple, le taoïsme de Lao Tseu et Tchouang-tseu tout comme le bouddhisme ont tous imprégné l’aspect formel de Ghost in the Mountains.
Dans votre film, j’ai eu le sentiment que le traitement poétique et mystique parvenait à en dire autant (voire plus !) qu’un traitement plus social et réaliste.
Je suis, d’une certaine manière, d’accord avec vous. Je m’intéresse davantage au monde intérieur des personnages qu’au monde « réel ». Il y a cette manière de regarder les choses différemment – c’est la réalité extérieure qui aide les gens à construire leur monde intérieur. L’homme est un animal social, et lorsqu’il retourne à la nature, il offre un autre reflet de notre société.
Comment avez-vous choisi ce titre mystérieux, Ghost in the Mountains ?
Dans la culture de la province du Hunan en Chine, le fantôme de la montagne vient d’un mythe interprété de différentes manières selon les dynasties. Qu Yuan, le plus grand poète de la période des Royaumes combattants dans la Chine antique, a écrit un poème intitulé L’Esprit de la montagne. Shen Congwen a lui écrit une nouvelle du même nom. Et des artistes contemporains continuent de réaliser des peintures sur ce thème. La plupart du temps, ces fantômes sont des femmes. Lorsque je travaillais sur le scénario, il m’est soudainement venu que cette idée de fantôme de la montagne fonctionnait pour incarner l’état de dérive mentale de mes personnages. C’est ainsi qu’est né le titre.
Quels sont vos projets ?
J’écris un nouveau scénario, et j’espère que tout va bien se passer.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 25 mars 2017. Un grand merci à Yihong Yang.
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