Dans le court métrage Between Us Two, un jeune homme gay s’adresse à sa mère décédée. On regroupe quelques souvenirs dans la pénombre tandis que photos et animation à la peinture sont mêlées pour apporter une étrange dynamique à l’image. Le Singapourien Wei Keong Tan offre un regard vibrant et sensible sur la famille et l’identité. Nous l’avons rencontré.
Quel a été le point de départ de Between Us Two ?
C’était lors d’une résidence d’artiste au Prefectural Shinano Art Museum de Nagano que j’ai commencé à structurer et créer les images de mon film. Durant cette étape, je me suis intéressé à la relation entre l’enfant et ses parents, et j’ai voulu engager une conversation entre les cultures orientales et occidentales. J’ai beaucoup d’amis qui vivent de par le monde loin de leurs parents, et je souhaitais parler de cette frontière qui les sépare, à la fois géographiquement et culturellement.
C’est seulement à l’issue de la résidence et en réexaminant les images qu’il m’est apparu que cette conversation correspondait tout à fait à la relation que j’ai entretenue avec ma mère. Elle est décédée il y a plus de dix ans et la distance qui nous sépare est infinie. Cet échange traite du mariage entre personnes de même sexe, qui reste illégal dans de nombreux pays, particulièrement en Asie orientale. La discrimination sur la base de l’orientation sexuelle est une violation des droits de l’homme et reste un débat universel. Je veux aborder cette question de manière personnelle et intime à travers mon animation.
Pourquoi avoir choisi cette technique d’animation en particulier ?
J’ai toujours le sentiment que, d’une manière ou d’une autre, l’animation doit être ancrée dans la réalité. C’est pourquoi j’ai utilisé, par exemple, beaucoup de photographies dans le récit. Pour Between us Two, c’était encore plus pertinent puisqu’il y a quelque chose de documentaire. Certains plans étaient impossibles à créer en prises de vue réelles et ont été composés à partir de multiples photographies dans le but de former un monde cohérent. Je pense à la chambre avec l’homme et la mère au lit, la main pénétrant dans le corps. Je me suis également servi de la technique de la photocopie pour créer du grain à l’image. C’est un procédé de duplication qui est très proche de l’animation image par image en fait.
Le film a pour principal protagoniste un jeune homme gay qui parle à sa mère morte. Il s’agit de ce qui est dit, mais aussi de ce qui reste non-dit. Comment avez-vous trouvé le juste équilibre lors de l’écriture du film ?
Pendant l’enregistrement de la voix, je me suis assis dans le noir et j’ai imaginé ma mère dans la même chambre tandis que j’entamais la conversation. Et même si j’ai écrit auparavant un script simple, ça a peu à peu dévié vers un dialogue incluant mes mots à moi que je n’aurais utilisés qu’avec elle. Comme ma façon de prononcer ‘Ma’. Faire son coming out est extrêmement difficile, mais savoir qu’elle n’est plus là physiquement me rend plus courageux qu’auparavant. C’est un moment privé, mais en même temps, je savais que ce film serait vu par des étrangers. Il y a beaucoup d’ambigüités dans le dialogue – les réponses ne sont pas claires, certains questions restent en suspens, parce qu’au final cela reste une conversation unilatérale. L’écriture a été difficile parce que cela demandé beaucoup de temps pour moi de réaliser l’importance de tourner la page. Je pense que beaucoup de gens ressentent cette obligation vis-à-vis de leurs proches.
Quels sont vos réalisateurs favoris ?
Tan Pin Pin, Anthony Chen, Dahee Jeong, Chen Xi, Marc James Roels et Emma De Swaef.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf au cinéma, de découvrir un nouveau talent ?
Pendant que je travaillais comme directeur de programme à Cartoons Underground, à Singapour, j’ai découvert un court métrage d’animation intitulé The Blue Hands réalisé par les Russes Alexandra Anokhina et Mikhail Shepilov. Cette œuvre d’étudiants est magistrale, qu’il s’agisse de son animation à la main ou de son montage tranchant, qui correspondent très bien à l’atmosphère sombre de l’histoire.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 6 septembre 2018.
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