C’est le bijou de cette édition de Visions du Réel qui vient de s’achever : Far Away Eyes du Taïwanais Wang Chun Hong est une déambulation à la fois mélancolique et chaleureuse de jeunes gens égarés. Le résultat, visuellement superbe, a quelque chose de magique. Nous avons rencontré son jeune réalisateur.
Quel a été le point de départ de Far Away Eyes ?
Le concept original du film a commencé avec une photographie que j’ai achetée dans un marché aux puces, et qui apparaît dans le film. Sur la photo, un groupe de personnes regarde deux avions dans le ciel, comme s’ils étaient sur le point d’entrer en collision ou de se croiser. Sur cette photo, il ne se passe rien : c’est juste une question de possibilités. A partir de cette base, j’ai commencé à imaginer le début du film sur un jeune homme regardant un avion disparaître dans le ciel au loin, tandis qu’il reste sur l’île de Taïwan, comme s’il était piégé par l’inconnu.
En même temps, j’avais 29 ans. Je me suis toujours senti déconnecté du monde, sans savoir à quel endroit j’appartenais. À l’approche de l’élection présidentielle de 2020, nous n’avions aucune idée de la direction que prendrait l’avenir de Taïwan, et c’est comme quand on se sent perdu alors qu’on va avoir 30 ans. Face à cette pression interne et externe, y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour faire la différence ? Je devais peut-être essayer de faire un film à ce sujet.
Votre utilisation du noir et blanc, et plus particulièrement de la lumière, est absolument remarquable. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?
M’exprimer à travers des images en noir et blanc est la méthode de prise de vue la plus familière pour moi. Cela vient du fait que j’ai avant cela pris beaucoup de photos en noir et blanc. J’essaie d’exprimer mon émotion personnelle et mon état d’être uniquement par la gradation, le grain et le contraste de la lumière et de l’ombre.
De nombreuses grandes fenêtres en verre sont visibles lorsque vous vous promenez dans les rues de Taipei. Elles reflètent les piétons et les voitures, et j’étais fasciné par la relation entre les images réelles et les images virtuelles, tout comme la relation entre un personnage et la réalité environnante. Souvent, une transition lente en utilisant un panoramique ou de longues prises permet à la mise en scène d’être à la fois une représentation de la réalité et une photographie presque statique. Le film incarne ce que les yeux perçoivent, et, ce faisant, reconnaît l’acte de regarder.
Il y a quelque chose de triste et de mélancolique mais aussi de chaleureux et presque magique dans l’atmosphère de votre film. Comment avez-vous marié ces différents tons ?
Ce n’était pas mon intention première, je dirais que j’ai essayé de trouver de l’espoir dans le désespoir, ou simplement de la lumière dans le noir. Si la réalité nous désespère, j’ai envie de croire qu’au moins, à travers la fiction créée par les films, nous pouvons retrouver une soif d’espoir.
Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
Robert Bresson, Béla Tarr, Chantal Akerman, Pedro Costa, Abbas Kiarostami, Apichatpong Weerasethakul, Tsai Ming-Liang : tous ces cinéastes ont eu une profonde influence sur moi à différentes étapes de ma vie.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose d’inédit, de découvrir un nouveau talent ?
Il y a longtemps j’ai regardé Les Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman et j’ai ressenti quelque chose en moi que je ne pouvais exprimer avec des mots. Et elle a fait un film de cette émotion. C’était un moment très précieux que je n’oublierai jamais.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 18 avril 2022. Un grand merci à Gloria Zerbinati.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |